Comme tous les lecteurs de Room de l'écrivaine canado-irlandaise Emma Donoghue (dont le roman s'est vendu à quelque 3 millions d'exemplaires depuis sa sortie en 2010), Lenny Abrahamson a été extrêmement ému par cette histoire.

Celle d'un gamin, Jack, qui, quand on le rencontre, célèbre ses 5 ans en compagnie de Ma, mère dévouée, chaleureuse, prête à tout pour que son garçon soit heureux et en sécurité. Une histoire qui serait banale, tellement banale, si mère et fils n'étaient pas prisonniers. 

Jack est né dans la Chambre. Il ne connaît que la Chambre. Ma lui a appris que c'est le Monde. Ma, qui autrefois s'appelait Joy, a été enfermée là, il y a sept ans, par Grand Méchant Nick. La nuit venue, il vient dans la Chambre. Apporte des vivres. Des médicaments. Ce qu'il faut pour (sur)vivre. Et se couche près de Ma. Jack, lui, s'enferme alors dans Petit Dressing.

Le récit aurait pu être plus noir que noir. Il l'est, mais ne l'est pas. Parce que Jack en est le très crédible narrateur. L'horreur de la situation, pour Ma et pour le lecteur, il la dit avec chaleur. Il ne connaît rien d'autre que la Chambre. Elle est rassurante. Elle est tout.

C'était le livre. En faire un film? Impossible sans flirter avec la claustrophobie galopante. Et où trouver un acteur aussi jeune capable de traduire l'innocence totale de Jack et de porter le film sur ses épaules? Pour la plupart des lecteurs, Room fait partie de ces livres impossibles à transposer à l'écran.

Mais Lenny Abrahamson (Frank, What Richard Did) n'est pas «la plupart des lecteurs». Le réalisateur irlandais a vu le film dans le livre. Il savait comment faire. Il savait aussi que plusieurs de ses pairs, au nom plus connu, au CV plus étoffé, avaient les yeux sur ce projet-là.

Contact direct

«Je sentais que la seule manière pour moi d'avoir une chance était de contacter directement Emma», indiquait-il lors de l'entrevue téléphonique qu'il a accordée à La Presse

Il a donc écrit à celle dont il vante la façon «d'avoir réussi à utiliser une situation sordide pour en faire une histoire puissante et universelle, un récit d'apprentissage, un hommage au lien parent-enfant, une chronique originale et d'une charge émotive renversante».

Une longue lettre. Dix pages. Il a ensuite attendu. Les doigts croisés. La réponse a tardé à venir. Et quand elle est tombée, après une rencontre avec l'écrivaine qui, comme lui, est née à Dublin, elle était positive. C'est là qu'il a été frappé par le proverbial «Attention à ce que vous souhaitez». Le film rêvé pouvant se buter à des écueils, bien concrets, et des défis, bien réels.

Le principal était de trouver Jack. «Nous avons cherché partout aux États-Unis et au Canada, et nous l'avons trouvé à Vancouver.» Jacob Tremblay. Sept ans quand le tournage a commencé. Menu. Pouvant passer pour plus jeune. Sans expérience de jeu. Mais un talent naturel. 

«C'est un rôle tellement complexe pour quelqu'un d'aussi jeune! Il nous a fallu du temps pour l'amener où nous voulions qu'il soit, mais une fois qu'il y a été, il comprenait et était excellent», fait le réalisateur.

Il a toutefois choisi de placer Jacob dans les souliers de Jack en ne révélant pas à l'acteur l'entièreté du drame du personnage. 

«Nous n'avons pas tout dit à Jacob. Il savait que Jack vit dans la Chambre et qu'il ignore que le monde extérieur existe. Nous ne lui avons pas dit pourquoi Ma et Jack sont enfermés, ni ce qui est arrivé et arrive à Ma. Nous l'avons laissé à l'extérieur de ces thèmes plus adultes. Pour lui, quand Nick arrive dans la Chambre, Jack se retrouve un peu comme dans un conte où les bonnes personnes se cachent des méchantes», explique le réalisateur, qui avait une alliée au quotidien et... sur le terrain, dans cette entreprise: Brie Larson, l'interprète de Ma.

Face à Jacob/Jack

La comédienne de 26 ans que l'on a vue dans 21 Jump Street, Don Jon et Sleeping With Other People avait été engagée bien avant que la production ne trouve cette perle rare qu'est Jacob Tremblay. 

«Je ne leur ai pas fait passer d'audition pour tester leur chimie, poursuit Lenny Abrahamson. Brie est tellement drôle, loufoque et intuitive comme actrice, elle capte les choses si rapidement, je n'ai pas douté une seconde qu'un lien solide allait rapidement se créer entre eux. Je savais que Jacob allait l'adorer, ça ne m'a pas inquiété une seconde.»

Le réalisateur ne s'est pas trompé. L'enfant et la jeune femme ont commencé à répéter trois semaines avant le début du tournage. Ils étaient «meilleurs amis» au bout de quelques heures.

Heureusement, le film dépendant de la crédibilité de cette relation qui occupe tout l'espace dans la première moitié du film. Une première moitié en huis clos, dans un décor réduit au minimum en contenu et en taille. La Chambre. Qui est un personnage de Room.

«J'ai beaucoup travaillé avec Ethan Tobman [directeur artistique] et Danny Cohen [directeur photo] pour créer un langage visuel nous permettant d'expérimenter la pièce de la manière dont Jack la perçoit, c'est-à-dire comme un monde complet. Puis, quand on la voit à travers les yeux de Ma, elle se fait espace restreint, étouffant, une prison», explique le réalisateur pour qui le film, ce film qui aurait pu être impossible, ajoute une dimension au roman: «Le long métrage donne davantage de la mère. Dans le livre, on ne voit que le point de vue de l'enfant. La star du film devient la relation parent-enfant.»

Une relation qu'Emma Donoghue a couchée deux fois sur papier. Puisqu'elle a aussi signé la première version du scénario. Elle a ensuite travaillé avec Lenny Abrahamson. Pendant un an et demi. Afin d'essayer des choses. Afin d'éviter les pièges. 

«Je lui disais qu'il fallait que les choses soient plus "sales". Le réalisme est fait de désordre. Sinon, on est à la télé. Nous avons aussi travaillé pour éviter de tomber dans le sentimentalisme, dans l'exploitation du drame, dans le voyeurisme.»

Bref, une grande mission - à faire tenir dans une minuscule Chambre.

Room (Room: le monde de Jack) prendra l'affiche le 30 octobre.