Son visage me disait bien quelque chose, mais je n’arrivais pas à mettre un nom dessus. Je savais que je l’avais vue au cinéma, mais dans quel film ? Elle avait des airs d’actrice européenne, un accent franco-français mâtiné d’autre chose et une vague ressemblance avec Marion Cotillard.

Jolie, élancée, élégante dans une robe pantalon Louis Vuitton. Elle m’a rapidement fait une confidence : elle déteste la montée des marches sur le tapis rouge de Cannes. Tout ce temps à attendre, à faire la potiche et à poser pour les photographes.

« Je vous comprends telllllement ! » Qu’est-ce qu’on ne dirait pas pour nourrir la conversation. La montée des marches a beau indisposer les actrices et les journalistes, elle est indissociable du mythe du Festival de Cannes. Elle fait partie de son image de marque, à l’instar de la Palme d’or, davantage sans doute que les films de sa compétition.

C’est vrai, je n’aime pas spécialement la montée des marches. La misère des privilégiés, oui, je sais. J’y vais quand j’y suis contraint par un conflit d’horaires afin de voir ou de rattraper un film incontournable. J’avais réellement de l’empathie pour cette actrice que j’avais vue dans plus d’un film. Mais lesquels ? Je ne le savais toujours pas.

Pour monter les marches à Cannes, il faut s’habiller en conséquence. Même quand on est un simple critique. Après deux ans de pandémie à porter le même kangourou gris, j’ai perdu l’habitude du costard. Il faut ce qu’il faut. Sauf que je n’avais pas tout ce qu’il faut.

Dans ma chambre d’hôtel, vers Le Cannet, il n’y a pas de fer à repasser. Les Français ne semblent pas croire au repassage. Ils font entièrement confiance au « pressing ». J’ai donc envoyé mon complet au nettoyage à sec ainsi que ma chemise à la blanchisserie, pour être fin prêt en prévision des quelques soirées cannoises qui meublent parfois mon horaire de festivalier. Un chroniqueur mondain n’est jamais trop bien préparé.

J’ai attendu une première invitation à un dîner ou une fête pendant plusieurs jours. C’est le 75e anniversaire du Festival de Cannes. On doit bien le célébrer quelque part ? Depuis le début du festival, c’était la panne sèche au rayon des invitations. « All dressed up and nowhere to go », comme on dit au Cap d’Antibes.

J’ai même craint d’être devenu persona non « gratin », lorsque j’ai compris que tous mes collègues avaient été invités au dîner de la presse, mais pas moi. Puis au moment précis où une consœur me demandait de l’accompagner au dîner, j’ai reçu la fameuse invitation. Elle avait dû se perdre dans la malle…

L’occasion de porter mon costard s’est présentée mercredi soir, à l’avant-première de Top Gun : Maverick. Ledit complet – ça reste entre nous – n’est pas un smoking noir ou bleu nuit et semble un chouïa pâle selon les règles strictes du protocole de la montée des marches.

J’ai eu une surprise en l’enfilant. Avait-il rapetissé au nettoyage ? Faudrait-il que je me plaigne au blanchisseur ? Il me faisait pourtant comme un gant en 2019 ! La bonne nouvelle, c’est que si je ne ferme aucun bouton du veston, je n’ai pas l’air d’un saucisson…

J’étais sur le point de fouler le tapis rouge, donc, lorsque j’ai été retenu par les gardiens de sécurité. Avaient-ils remarqué que ma tenue n’était pas conforme à la palette de couleurs du festival ?

J’ai compris que la montée des marches battait son plein et qu’il me fallait patienter une dizaine de minutes. On n’aurait pas voulu qu’un nobody se mêle aux people et vienne gâcher le défilé des stars.

J’en ai profité, comme j’étais aux premières loges à côté des marches, pour sortir mon téléphone (ce qui est formellement interdit SUR le tapis rouge, mais pas À CÔTÉ, selon la lettre du règlement) et croquer le portrait des jeunes hommes et femmes qui nous montraient leur plus beau profil et leurs tenues de soirée.

Je n’ai reconnu personne, sinon Omar Sy, venu faire des steppettes en se prenant pour Normand Brathwaite. Il m’a envoyé un pouce en l’air en passant devant moi, manière de dire qu’il me soutenait dans l’ensemble de mes démarches personnelles, professionnelles et administratives. C’est du moins l’interprétation que j’ai donnée à son geste.

Lorsque Tom Cruise et les vedettes les plus connues ont enfin gravi l’escalier, il y avait une demi-heure déjà que j’étais dans le Palais des Festivals à poireauter. C’est cette actrice européenne que je n’arrivais pas à replacer qui avait raison : la montée des marches, une fois qu’on l’a vécue une première fois (et qu’on a très accessoirement eu l’impression de participer au mythe cannois), ça peut être long longtemps.

Le temps de rentrer à l’hôtel, ma chemise était aussi froissée qu’avant que je ne l’envoie chez le blanchisseur. La vie (mondaine) est un éternel recommencement. Vendredi soir, j’avais deux invitations, dans un cocktail et à un dîner, et toujours pas de fer à repasser.

Heureusement que je suis de nature débrouillarde, lorsque les vicissitudes deviennent des nécessités. Comme ça coûte cher, le pressing à Cannes, j’ai décidé de tester la fameuse astuce de la vapeur de douche censée défroisser une chemise accrochée sur un cintre dans la salle de bain. Conclusion : on va se le dire, ça marche moyen, ce truc-là…

À court de solutions, je me suis tout de même rendu au cocktail donné par le Festival international du film de Toronto, où je suis tombé par hasard sur son directeur artistique, Cameron Bailey. Charmant et diplomate, il n’a fait aucun commentaire sur l’état de ma chemise ni sur la qualité des films de la compétition jusqu’à présent.

L’air interloqué de Pénélope McQuade, avec qui je fais de la radio, lorsque je lui ai avoué quelques heures plus tôt que je n’avais pas encore bu une goutte de champagne à Cannes – un autre mythe lié au Festival – m’a convaincu qu’il était temps de remédier à la situation.

Au bar, malheureusement, le jeune barman m’a dit qu’il ne servait que de la bière. Et comme on venait de changer le fût, il servait surtout de la broue. Je voyais pourtant des bouteilles de champagne. « Oui, mais ce n’est malheureusement pas pour cette fête », m’a dit Quentin (il avait l’air d’un Quentin). Alors que j’attendais depuis 10 minutes une bière sans faux col, une jeune femme a commandé une flûte de champagne… et a été aussitôt servie. Je n’ai rien dit. J’ai fait comme les Torontois, je suis resté poli.

Je me sentais fripé et déconsidéré lorsque j’ai croisé sur la terrasse, avec une vue imprenable sur le Suquet, la cinéaste de Noémie dit oui, la Québécoise Geneviève Albert. Elle m’a dit gentiment, peut-être pour me remonter le moral, que mon costard m’allait bien. Voilà une femme de goût, manifestement. Ce n’est pas pour rien que la critique a porté aux nues son film et qu’il suscite l’intérêt de festivals internationaux.

En route vers le dîner du jury de la Semaine de la critique, donné par Unifrance, je n’ai pas vu sur le tapis rouge du Palais des Festivals Marion Cotillard, qui devait déjà être entrée dans le Grand Théâtre Lumière. Mais à la terrasse d’Unifrance, j’ai croisé cette actrice qui lui ressemble vaguement et que j’ai finalement replacée, en rentrant à mon hôtel. C’est la muse de Yorgos Lanthimos, son mari. Elle s’appelle Ariane Labed, elle n’aime pas les tapis rouges, et je la comprends tellement.