« Je ne sais plus on est dans quel degré. » La réplique du personnage incarné par Steve Laplante vers la fin de Babysitter résume parfaitement l’état d’esprit dans lequel peut nous plonger ce film, deuxième long métrage de Monia Chokri, d’après une pièce de théâtre de Catherine Léger qui signe aussi le scénario.

Babysitter virevolte entre différentes nuances. Entre le féminisme et la soumission, entre la beauté et ses diktats, entre la misogynie et la féminité, entre la culture du bannissement et la liberté d’opinion, ou encore entre le charme et la séduction, et même entre l’érotisme et la perversion…

Monia Chokri et Catherine Léger ne veulent pas nous dire quoi penser, mais plutôt nous faire réfléchir sur les rapports de pouvoir et sur la notion de désir. Le tout avec une direction artistique très définie et léchée, comme c’était le cas avec l’excellent premier film de Chokri, La femme de mon frère.

Le ton est donné dès la première scène alors que Cédric (excellent Patrick Hivon) et ses amis assistent à un match de boxe sanguinolent – symbole ultime de la masculinité et de la domination. Avec un montage rapide où se succèdent des gros plans (notamment de seins) sur une musique western, Monia Chokri nous plonge rapidement au cœur de son univers parfois plus près du fantastique que de la réalité.

À la sortie du combat, Cédric, complètement ivre, embrasse une journaliste en direct à la télé. Les images de son inconduite deviendront virales, à tel point que le jeune père sera suspendu de son emploi comme ingénieur. Sa femme Nadine, interprétée par Monia Chokri, sera plutôt blasée par son geste. Il faut dire qu’elle vit une dépression postpartum et passe ses nuits en voiture à tenter d’endormir leur fille de quelques mois.

Alors que Nadine s’enfuit de la maison pour quelque temps dans l’espoir de reprendre le travail, Cédric engage une jeune babysitter au look de lolita (formidablement jouée par l’actrice française Nadia Tereszkiewicz) dont le caractère ingénu n’est toutefois que de surface.

La gardienne sera bienvenue, car Nadine se blesse à une cheville de retour au domicile, alors que Cédric décide d’écrire un livre – avec l’aide de son frère journaliste qui l’a dénoncé, joué avec brio par Steve Laplante – pour sortir grandi de son inconduite sexuelle qui a fait réagir tout le Québec.

Déstabilisant et audacieux

Ce ne sont pas tous les cinéphiles qui saisiront les nombreuses références aux films d’horreur des années 1970. À l’inverse, tous peuvent être séduits par la beauté des cadres de caméra, secoués par une chanson de Peaches et être amusés par l’esthétique de série B, bien qu’il arrive que la forme supplante parfois trop le récit.

Soulignons que Nadine et Cédric vivent dans une maison cossue avec un accès aux réseaux sociaux et une voiture électrique, mais ils sont entourés d’une décoration d’une autre époque avec des tapis de velours rouge et de la vaisselle ambrée.

Comme spectateur, disait-on, il ne faut pas s’attendre à ce que Babysitter dénonce quelque chose de précis ou nous propose une quelconque morale. Malgré tout, on reste toutefois un peu trop sur son appétit à la fin du film.

Il est néanmoins admirable de constater à quel point Monia Chokri a développé en seulement deux films un style de réalisation qui lui est si propre (bien que le scénario de Babysitter soit beaucoup plus conventionnel que celui de La blonde de mon frère).

Notamment par sa direction d’acteurs, ses dialogues au succulent humour intellectuel, ses images filtrées par du verre, ses scènes où nos sens sont inconfortables et un esthétisme aux couleurs ton sur ton.

Déstabilisant, audacieux et malaisant par moments (surtout lors d’une scène en particulier), Babysitter est tout sauf un film complaisant. Il nous fait certainement réfléchir sur l’aspect incontrôlable et irrationnel du désir.

Mais soyez averti, vous pourriez vous demander, comme le personnage de Jean-Michel, dans quel degré vous êtes.

La réponse : dans plusieurs degrés, justement.

En salle

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Babysitter

Comédie

Babysitter

Monia Chokri, d’après un scénario de Catherine Léger

Avec Monia Chokri, Patrick Hivon, Steve Laplante et Nadia Tereszkiewicz

1 h 30

7/10