Lauréat d’un Lion d’or d’honneur pour l’ensemble de sa carrière, Paul Schrader est aussi venu lancer à la Mostra Master Gardener, dernier volet d’une trilogie amorcée avec First Reformed et poursuivie avec The Card Counter. Le film, magnifique, laisse même entrevoir une approche un peu plus optimiste de la part d’un cinéaste spécialisé dans les zones d’ombre…

Paul Schrader n’a certes pas volé le Lion d’honneur qu’on lui a attribué samedi. Faisant partie de la génération ayant réinventé le cinéma américain dans les années 1970 — avec les Spielberg, Scorsese, Coppola et compagnie –, le créateur du fameux Travis Bickle de Taxi Driver, dont il a écrit le scénario, s’est d’abord imposé comme scénariste avant de se distinguer également du côté de la réalisation.

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Le réalisateur et scénariste Paul Schrader reçoit son Lion d’honneur à la Mostra de Venise.

Le cinéaste, dont la renommée a pris un nouvel essor depuis First Reformed, premier volet d’une trilogie amorcée il y a cinq ans, s’est présenté à Venise avec, sous le bras, un nouveau film remarquable. Tourné après The Card Counter, qui avait été aussi fort bien accueilli, Master Gardener, projeté hors compétition, est un long métrage à la fois beau et troublant, non dénué d’humour, dans lequel Schrader s’interroge sur la notion de rédemption.

Avoir foi en l’avenir

Un personnage à la Travis Bickle devenu jardinier ? Oui, c’est dur à croire. Mais l’une des répliques de Master Gardener est la clé de toute la construction dramatique du film : jardiner, c’est avoir foi en l’avenir. Entendez par là que la nature finira toujours par reprendre ses droits, peu importe le contexte, ou le temps qu’il faudra pour y parvenir.

C’est comme une évolution d’un même personnage. J’y reviens toujours, mais là, je l’espère, j’en ai terminé avec lui !

Paul Schrader

Quand on rencontre Narvel Roth (Joel Edgerton) au début de l’histoire, on pourrait difficilement penser que cet être, pour qui la botanique n’a maintenant plus de secrets, puisse traîner un passé aussi lourd. C’est pourtant le cas. On pourrait en dire autant de Mrs. Haverhill (Sigourney Weaver), dame très élégante, propriétaire d’un domaine où Narvel est chargé du jardinage, en plus de transmettre son savoir-faire à des apprentis.

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Sigourney Weaver et Paul Schrader après la remise du prix

On comprend pourtant très vite que la relation entre la patronne et son employé est ambiguë, et que l’arrivée de la petite nièce de la propriétaire, qui fut pourtant invitée, ne met visiblement pas la dame en joie.

« Je me suis demandé ce qui arriverait si, par exemple, on apprenait à un Proud Boy [militant d’extrême droite] comment s’occuper d’un jardin et qu’on lui demandait d’en prendre soin, a expliqué Paul Schrader. Pourrait-on le racheter ? Très franchement, je ne sais pas. Je viens d’une génération où l’on a voulu montrer la violence, mais là, je m’en éloigne. Quand on avance en âge, notre questionnement sur la rédemption évolue. On ne veut pas quitter ce monde sans savoir dire je t’aime. »

Encore plus libre !

Visuellement splendide, surprenant sur le plan dramatique, Master Gardener est la plus récente contribution de Paul Schrader à une œuvre très pertinente. Puisque l’honneur qu’on lui rend à la Mostra couvre l’ensemble de sa carrière, le cinéaste a été appelé à désigner ses préférences parmi les films qu’il a réalisés, en plus d’en signer les scénarios.

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Joel Edgerton, Sigourney Weaver, Paul Schrader et Quintessa Swindell arrivent à la première de Master Gardener.

« C’est comme pour ses enfants, on les aime pour différentes raisons. Je dirais quand même Mishima parce que, à ce jour, je ne peux toujours pas croire que je l’ai fait ! Sur le plan du style, The Comfort of Strangers. J’ai eu de la chance. La technologie évolue, on peut faire du cinéma à moindre coût, et j’y trouve encore plus de liberté. »

Je me vois comme un cinéaste, mais aussi comme un entrepreneur. Il faut l’être, sinon ces petits films ne pourraient jamais voir le jour.

Paul Schrader

Joel Edgerton a par ailleurs bien traduit l’importance qu’a Paul Schrader dans la cinématographie américaine.

« Quand j’étudiais l’art dramatique à l’école, je regardais les performances de tous ces grands acteurs des années 1970 — Robert De Niro, évidemment — et j’étais complètement fasciné. Jusqu’à ce que je réalise que si ces acteurs pouvaient offrir des performances aussi extraordinaires, c’est parce qu’ils disposaient d’abord d’un scénario comme ceux qu’a écrits Paul. »

Master Gardener sera distribué au Canada par VVS Films. Aucune date de sortie n’est encore fixée.