Malgré quelques accrocs sur le plan logistique, la direction de la Mostra de Venise peut se féliciter du succès qu’a obtenu cette 79e édition, la première se déroulant dans des conditions normales depuis 2019. Ne reste plus maintenant qu’à attendre le verdict du jury, présidé par Julianne Moore.

Depuis vendredi, ça sent un peu la fin de la fête. On commence à remballer les trucs, on est un peu moins regardant sur la fouille des sacs, et les journalistes n’ont plus à jouer du coude pour assister aux projections leur étant destinées. Plusieurs d’entre eux ont d’ailleurs quitté la cité des Doges mercredi pour s’envoler vers la Ville Reine afin d’arriver à temps là-bas pour la soirée d’ouverture, tenue jeudi.

Au début de la pandémie, alors que les festivals de cinéma annonçaient l’un après l’autre la tenue d’une version en virtuel, plusieurs observateurs s’interrogeaient sur l’avenir de ce genre d’évènements, pour lesquels il serait probablement – voire certainement – impossible de revenir au modèle traditionnel. Deux ans plus tard, force est de constater qu’il n’en est rien. La mémoire étant, selon l’adage, une faculté qui oublie, les festivaliers ont repris leurs habitudes dès qu’ils ont pu, chassant le plus rapidement possible de leur esprit les mauvais souvenirs pandémiques.

Mis à part le fait que les journalistes doivent désormais réserver leurs places sur une plateforme en ligne qui tombe trop souvent en panne aux heures de grande affluence, tout est rentré dans l’ordre.

Une sélection de très belle tenue

Nous ne sommes pas venus à la Mostra assez souvent pour pouvoir vraiment tirer des conclusions sur la qualité du cru 2022 par rapport aux années précédentes, mais la sélection fut indéniablement de très belle tenue cette année. Parmi les favoris de la presse figurent trois titres en particulier : TÁR, de Todd Field, dans lequel Cate Blanchett incarne une cheffe d’orchestre empêtrée dans une histoire à la #metoo ; Saint Omer, d’Alice Diop, film bouleversant, inspiré d’une histoire véridique d’infanticide survenue en France il y a quelques années ; et The Banshees of Inisherin, de Martin McDonagh, comédie dramatique décapante avec Colin Farrell et Brendan Gleeson.

La presse internationale milite aussi beaucoup en faveur d’All the Beauty and the Bloodshed, le documentaire que Laura Poitras consacre à l’artiste et militante new-yorkaise Nan Goldin. De son côté, la presse italienne n’en démord pas : Bones and All, de Luca Guadagnino, romance cannibale avec Timothée Chalamet et Taylor Russell, reste sa grande favorite depuis le deuxième jour du festival.

La direction d’un jury étant toujours imprévisible, il se pourrait bien que tous ces titres soient tassés au profit d’œuvres affichant une démarche artistique singulière. On peut en dire autant du côté des prix d’interprétation. Si plusieurs grandes vedettes inscrivent ici l’une de leurs meilleures performances en carrière (Cate Blanchett dans TÁR, Ana de Armas dans Blonde, Brendan Fraser dans The Whale, Hugh Jackman dans The Son), il reste que des acteurs beaucoup moins connus ont offert des performances tout aussi marquantes. On pense notamment à Kayije Kagame et Guslagie Malanda dans Saint Omer. On parle également beaucoup de l’actrice transgenre Trace Lysette, tête d’affiche de Monica.

Le jury, présidé par Julianne Moore, rendra son verdict ce samedi.

Jafar Panahi en mode plus grave

Le nouveau long métrage de Jafar Pahani, cinéaste déjà lauréat d’un Lion d’or en 2000 (Le cercle), a été présenté vendredi, précédé d’un rassemblement sur le tapis rouge de la Sala Grande afin de rappeler au monde que des cinéastes sont persécutés et emprisonnés dans certains pays. En 2010, Jafar Panahi a été condamné à une peine de six ans de prison et à une interdiction de cinéma de vingt ans. Au mois de juillet, il a été arrêté et jeté au cachot pour purger sa peine.

« J’aurais voulu aller le voir, mais seuls les membres de sa famille sont autorisés à lui rendre visite », s’est désolé Reza Heydari en conférence de presse. Ce dernier, habituellement ingénieur du son pour les films de Jafar Panahi, tient dans No Bears le rôle… d’un ingénieur du son !

Comme tous les plus récents longs métrages du réalisateur de Taxi Téhéran, No Bears a été tourné clandestinement. Le ton se fait cependant beaucoup plus grave cette fois. Tenant son propre rôle, Jafar Panahi raconte deux histoires parallèles, la principale étant celle qui le met lui-même en scène avec une petite équipe de tournage. Ne pouvant sortir du pays, il se rend dans un petit village tout près de la frontière turque, où le conflit entre les urbains de Téhéran et les ruraux du village – entre modernité et tradition – se fait assez intense. Parallèlement, les désirs d’immigration du couple iranien que Panahi est en train de filmer sont confrontés à la bureaucratie…

Sélectionné en compétition officielle, No Bears n’a rien dans sa tonalité de l’espèce de bonhommie qu’on retrouve habituellement dans les films de Jafar Panahi. Un peu comme si le cinéaste pressentait les jours plus sombres qui s’annonçaient pour lui. Et pour son pays.