(Berlin) Sean Penn se trouvait avec Volodymyr Zelensky le soir où les bombes russes ont commencé à tomber sur Kyiv. « Vous direz que vous étiez dans le palais présidentiel, pas dans un bunker », lui a suggéré une assistante du président ukrainien.

À deux jours du début de la guerre, l’acteur américain croyait toujours – comme bien des observateurs – que Vladimir Poutine n’oserait pas envahir l’Ukraine. Il n’était pas sur place pour documenter un éventuel conflit armé, mais pour brosser le portrait d’un président improbable. Un acteur comme lui, qui a interprété à la télé un prof d’histoire catapulté par hasard à la présidence de l’Ukraine. Avant que la réalité ne rattrape la fiction.

Superpower, documentaire que Sean Penn a coréalisé avec Aaron Kaufman, présenté hors compétition à la Berlinale, est devenu un objet bien différent, par la force des choses. C’est un coup d’œil inédit dans les coulisses de la guerre, à un moment charnière. Et, surtout, un hommage à la gloire d’un acteur et de l’Ukr… Pardon. Sean Penn. C’est un film à la gloire de Sean Penn. C’est lui, l’acteur à qui l’on rend hommage, pas Volodymyr Zelensky.

Cet exercice narcissique de plus de deux heures – conçu comme un manuel sur Le conflit ukrainien pour les nuls – devient rapidement un prétexte pour nous démontrer que Sean Penn a eu un rôle à jouer dans la résistance ukrainienne à l’invasion russe.

Que l’acteur de Mystic River – il a offert son Oscar à Zelensky – fait partie de l’Histoire (avec bien sûr un grand H). J’y étais, j’ai vu.

Le documentaire est construit comme un suspense, musique de thriller politique à l’appui, autour de la rencontre (de quelques minutes à peine) avec Zelensky le soir du 24 février 2022. Aura-t-elle lieu ou pas ? En attendant de le découvrir (divulgâcheur : la réponse se trouve dans la première phrase de cette chronique), Sean Penn se met en scène.

On le voit, constamment à l’écran, rencontrer des politologues, des journalistes, des militaires, des mercenaires, boire un coup de vodka, se demander s’il doit partir ou rester, fumer une cigarette, parler au téléphone en tentant d’intercéder auprès du gouvernement américain, boire une vodka tonic, s’accrocher à sa vapoteuse, se rendre à la ligne de front et faire tout en son pouvoir, hormis tirer sur les soldats d’en face, pour qu’advienne la paix dans le monde.

Un homme en mission, avec une teinture aussi mauvaise que sa diction ramollie par l’alcool. Un humaniste décrit comme un pacifiste – il a cofondé l’organisme humanitaire CORE après le tremblement en Haïti – devenu un va-t-en-guerre qui glorifie les militaires (il se rend dans une école qui forme de jeunes soldats de 13 à 16 ans). Un fanboy complètement obnubilé par son sujet, qui ne pose plus de questions, mais se contente de salamalecs. Un acteur qui se la joue reporter gonzo, à la Hunter S. Thompson, mais qui a sombré dans l’obséquiosité.

Il y a une scène, particulièrement éloquente, vers la fin du film, où Penn accepte d’être interviewé par l’animateur populiste Sean Hannity à Fox News. On voit ensuite Newt Gingrich, l’ancien président de la Chambre des représentants, dire à Hannity qu’il s’agit sans doute de l’interview la plus importante de sa carrière. Le montage nous montre ensuite des images de manifestants pro-ukrainiens dans les rues de Moscou qui laissent entendre que c’est grâce à l’intervention de Sean Penn que l’opinion publique russe s’est mobilisée. Rien de moins. Donnez-lui le prix Nobel de la paix. Ça presse.

Je ne suis pas le seul à être sorti de la projection de Superpower avec l’impression d’avoir vu un film de propagande.

« Il est clair que le mot “propagande” a une connotation péjorative. Si montrer la vérité de l’unité des Ukrainiens dans la sauvegarde de ce qui est le plus précieux pour eux, la liberté, est de la propagande, alors je suis heureux d’être considéré comme un propagandiste ! », a répondu l’acteur et militant à une journaliste qui lui posait samedi la question en conférence de presse.

« C’est un film qui est biaisé parce que c’est une guerre qui est biaisée », admet Sean Penn. Ça a le mérite d’être clair. Ça ne fait pas de Superpower un meilleur film. C’est un documentaire brouillon, sans direction claire, qui met souvent en scène Sean Penn dans des situations anecdotiques. Si on s’intéresse le moindrement à l’actualité, on n’y apprend rien qu’on ne sait déjà. Et la réalisation a de quoi donner le tournis même à ceux qui n’ont pas le mal des transports (c’est coproduit par Vice…).

PHOTO TIRÉE SU DITE DE LA BERLINALE

Sean Penn et Volodymyr Zelensky

De ses rencontres avec le président Zelensky, Penn n’a retenu que quelques minutes où on le voit essentiellement ému, stupéfait, exprimant avec peine la moindre idée cohérente. Pour le reste, on a surtout l’impression que son projet a été motivé par le besoin de rendre public son militantisme et d’agir comme porte-voix en Occident, et en particulier aux États-Unis, de l’état-major ukrainien. « Il est plus que temps de fournir à l’Ukraine des missiles de longue portée », a-t-il répété plusieurs fois en conférence de presse, une casquette camouflage avec l’inscription « Killer Tacos » vissée sur la tête.

Volodymyr Zelensky, qui a vu le film la semaine dernière – Sean Penn s’est rendu à Kyiv le lui présenter –, s’est adressé via satellite à l’auditoire de la cérémonie d’ouverture, jeudi soir au Berlinale Palast. « Nous vaincrons, et je sais que vous en serez convaincus quand vous aurez vu le film Superpower, le superpouvoir de l’Ukraine », a-t-il déclaré.

« C’est un homme de cœur et de courage. Il est né pour ce moment historique », croit Sean Penn, qui précise qu’à l’exception de la naissance de ses enfants, il n’a jamais été plus ému de faire la connaissance de quelqu’un de toute sa vie.

En conférence de presse, l’acteur et cinéaste a traité Vladimir Poutine, qu’il a déjà rencontré en compagnie de Jack Nicholson à l’invitation du cinéaste Nikita Mikhalkov, un proche du président russe, de « criminel de guerre » et de « petit intimidateur répugnant ». C’est de bonne guerre.

« C’est difficile pour moi d’imaginer que des gens raisonnables ne constatent pas qu’il s’agit d’une invasion criminelle », dit-il. « Dans toute cette terreur, il y a quelque chose de magique qui se passe. Nous devons tous être du bon côté de l’histoire. »

Sean Penn est, bien sûr, du bon côté de l’histoire. Le problème, c’est qu’il ne semble pas avoir compris que cette histoire, ce n’est pas la sienne.