(Berlin) Qu’est-ce qui pousse de jeunes hommes à la misogynie ? Pourquoi le discours haineux d’un Andrew Tate a-t-il autant d’influence sur les réseaux sociaux ? Manodrome, le nouveau long métrage du cinéaste sud-africain John Trengove (The Wound), présenté en compétition officielle à la Berlinale, s’intéresse à la « manosphère », à la culture des « incels », à ces masculinistes qui tiennent les femmes – et les féministes en particulier – responsables de leurs déboires.

Inspiré par l’élection de Donald Trump aux États-Unis et ses accès de triomphe caractéristiques de la masculinité toxique, John Trengove a décidé de réaliser son film du point de vue d’un jeune homme en colère. Qu’est-ce qui nourrit sa haine : des femmes, des « étrangers », des gais ? Que refoule-t-il ? Quelles séquelles conserve-t-il de son enfance ?

En préférant l’évocation subtile à la démonstration didactique, avec une dose d’empathie qui ne saurait être tenue pour de la complaisance, Trengove raconte l’histoire de Ralphie (Jesse Eisenberg), un jeune chauffeur d’Uber – l’un des commanditaires de la Berlinale, ironiquement – de New York qui tire le diable par la queue. Il a été licencié, sa blonde est sur le point d’accoucher. Il a à peine de quoi se nourrir, encore moins payer les consultations médicales.

Il croule sous la pression et décompresse dans une salle de musculation, où il semble préoccupé par son image et très intrigué par ceux qui sont plus musclés que lui. Il achète des stéroïdes à un gars de son âge, qui veut le présenter à des amis fortunés qui vivent dans un manoir à la campagne.

PHOTO WYATT GARFIELD, FOURNIE PAR LA BERLINALE

Jesse Eisenberg joue le rôle de Ralphie, initié à un clan masculiniste.

Ralphie (Jesse Eisenberg) est initié à un clan masculiniste, qui se révèle être une secte misogyne dirigée par un personnage charismatique. Dad Dan (Adrien Brody) joue habilement des cordes sensibles de ses disciples, qu’il dit vouloir libérer de la « gynosphère ».

Ralphie se sent isolé, frustré, laissé pour compte. Il a l’impression que sa femme ne le respecte pas, que son avenir est bouché. Et que c’est la faute des gens qui l’entourent : ces immigrants, ces homosexuels, ces femmes qui, selon le discours réactionnaire dominant, sont désormais plus « privilégiés » que lui.

Dad Dan, au contraire, le valorise, le complimente, donne un nouveau sens à son existence. Il voit en lui un jeune homme d’exception, sur terre pour « créer et annihiler ». Ralphie se joindra-t-il à la secte ? Abandonnera-t-il sa compagne avant l’accouchement ? Laissera-t-il libre cours à ses pulsions violentes ? Qu’est-ce qui est de l’ordre de la réalité et qu’est-ce qui relève de la maladie mentale ?

PHOTO WYATT GARFIELD, FOURNIE PAR LA BERLINALE

Adrien Brody dans le rôle de Dad Dan

John Trengove joue habilement des codes du suspense psychologique pour nous tenir en haleine. On pense inévitablement à Taxi Driver de Martin Scorsese, mais aussi à You Were Never Really Here de Lynne Ramsay et au cinéma des frères Safdie.

Jesse Eisenberg, que l’on a souvent vu incarner le même type d’intellectuel névrosé, est particulièrement saisissant dans ce contre-emploi de jeune homme en détresse et peu sûr de lui, abandonné par tout le monde, dont les pulsions violentes sont de moins en moins contenues.

Manodrome, d’une tension soutenue et constante, est une incursion à la fois fascinante et terrifiante dans la tête d’un jeune homme qui ne s’aime pas assez pour aimer les femmes.