(Berlin) En 1985, Boris Becker a remporté le tournoi de Wimbledon. Il avait 17 ans. Jamais un joueur de tennis si jeune n’avait triomphé sur la pelouse du plus prestigieux des tournois du Grand Chelem. À 18 ans, il a conservé son titre à Londres, puis a gagné quatre autres épreuves du Grand Chelem.

Celui que l’on a surnommé Boom Boom – pour son service puissant – n’arriva pas, en revanche, à reproduire ses succès hors du terrain. En avril dernier, Becker a été condamné à deux ans et demi de prison pour avoir dissimulé des avoirs de trois millions d’euros à ses créanciers.

« Qui est Boris Becker ? », se demande d’entrée de jeu le documentariste américain Alex Gibney (The Armstrong Lie) dans Boom ! Boom ! The World vs Boris Becker, présenté dimanche en première mondiale à la 73Berlinale. Un documentaire auquel a participé Becker lui-même, qui a été interviewé par Gibney en 2019, puis en 2022, deux jours seulement avant sa sentence et son incarcération.

« If you can handle victory and defeat/And treat those two imposters just the same » (« Si tu peux rencontrer Triomphe après Défaite/Et recevoir ces deux menteurs d’un même front »). Ces vers du célèbre poème de Rudyard Kipling, If, sont inscrits au-dessus de l’entrée des joueurs du court central de Wimbledon. « Ma maison », dit Boris Becker, où Alex Gibney l’a interviewé.

PHOTO NADJA WOHLLEBEN, REUTERS

Le documentariste Alex Gibney

Selon le documentariste, ce qui a fait la réussite de Becker est aussi ce qui a contribué à sa chute. Une théorie à laquelle semble souscrire le principal intéressé. « Il faut être un peu fou pour gagner Wimbledon à 17 ans. Il faut aimer jouer avec les limites, traverser les lignes pour faire ce que personne n’a fait auparavant », a déclaré Becker en conférence de presse dimanche, deux mois à peine après avoir purgé une peine de huit mois de prison.

Pour être champion dans un sport, vivre une vie normale est presque impossible. Quand les choses se corsent, je deviens meilleur au tennis. Dans la vie, c’est autre chose. J’ai mis du temps à atteindre une certaine maturité et à mieux contrôler ma vie. J’ai payé le fort prix pour mes erreurs du passé. J’en ai tiré mes leçons. Je suis plus humble aujourd’hui.

Boris Becker

On sentait l’ancien numéro un mondial nerveux. Il a pris une grande respiration avant le début de la conférence de presse, redoutant sans doute les questions sur ses récents déboires. Il y en a eu quelques-unes, forcément.

« Beaucoup de choses se sont passées dans ma vie dans les cinq dernières années. Les victoires et les défaites au tennis m’ont préparé à ces hauts et ces bas, même à la vie en prison. Ce fut très difficile. J’ai quitté la prison et je vois la vie d’un autre œil. Je suis avec ma famille et je peux reconstruire ma vie, dit-il. J’espère que les gens verront un autre côté de la personne célèbre assise devant vous. »

Le documentaire d’Alex Gibney, qui est la première partie d’un diptyque qui sera bientôt offert sur la plateforme Apple TV+, se penche surtout sur le joueur de tennis que fut Boris Becker. De ses premiers triomphes dans des tournois locaux de Leimen, sa ville natale, à l’âge de 6 ans. En passant par ses succès à l’adolescence avec l’autre vedette allemande du tennis mondial de l’époque, Steffi Graf, qui habitait la ville voisine et s’entraînait avec lui.

Jusqu’aux grands matchs de Becker contre ses plus grands rivaux : John McEnroe, Stefan Edberg, Ivan Lendl… Gibney les présente à l’écran comme des duellistes du Far West, sur une musique d’Ennio Morricone tirée des westerns spaghettis de Sergio Leone. Si vous êtes amateur de tennis et que vous êtes assez vieux pour avoir apprécié le tennis des années 1980 – que l’on suivait religieusement dans ma famille – Boom ! Boom ! The World vs Boris Becker devrait vous régaler.

PHOTO STEFANIE LOOS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Boris Becker et Alex Gibney

Becker se raconte lui-même, mais sont aussi interviewés son exubérant coach, l’ancien professionnel de tennis, joueur de hockey olympique (!) et milliardaire roumain Ion Tiriac, son idole de jeunesse Björn Borg, et ses adversaires McEnroe, Mats Wilander ou encore Michael Stich. Tout comme Novak Djokovic, que Becker a entraîné pendant trois ans et qui l’a soutenu pendant qu’il était incarcéré.

Il est aussi question de la pression que subissent les athlètes de haut niveau. Le tennis étant, peut-être davantage que n’importe quelle autre discipline, avec ses matchs interminables et la concentration de tous les instants requise, le sport le plus stressant de tous. Pour dormir, entre deux tournois sur deux continents, Boris Becker est devenu dépendant aux somnifères.

On retient du film d’Alex Gibney, oscarisé pour Taxi to the Dark Side (sur la torture par les forces armées américaines), que Boris Becker a longtemps été convaincu qu’il était capable, comme au tennis, de se sortir de n’importe quelle impasse. C’était de la pensée magique. Sa peine de prison a forcé Gibney à revoir la structure du film.

Dans le documentaire, contrairement à la fiction, on écrit le scénario à la fin, pas au début.

Alex Gibney, en conférence de presse

Gibney ne présente pas pour autant Boris Becker comme un tricheur, de la même manière qu’il le faisait avec Lance Armstrong dans The Armstrong Lie. Il s’agit, après tout, d’une biographie « autorisée », réalisée par un admirateur avoué du joueur. Becker se présente même, à certains égards, comme une victime. Le monde, et particulièrement la presse allemande, en a contre lui, croit-il.

Le film se conclut de manière abrupte, alors que Becker enchaîne les succès. Une partie de son histoire reste à raconter. Le documentaire aura une suite. À l’instar de la vie de l’ex-numéro un mondial, elle risque d’être moins glorieuse.

Le soir même de sa retraite au tournoi de Wimbledon en 1999, alors que sa femme, enceinte d’un deuxième enfant, était hospitalisée pour des contractions, Boom Boom a eu une « brève rencontre » – dans l’escalier d’un restaurant londonien – avec une mannequin russe, qui lui a annoncé huit mois plus tard qu’il était le père de son enfant.

Alex Gibney explorera, on présume, la part plus sombre du personnage dans la deuxième partie de son documentaire. Divorce coûteux, pensions alimentaires multiples, faillite personnelle après des investissements hasardeux, usage de faux passeport diplomatique : l’après-carrière de Becker est une succession de mauvaises décisions et de mauvaises nouvelles publiées dans les journaux. Jusqu’à cette condamnation et cet emprisonnement.

Ironie du sort, en mars 2022, afin de rembourser une part de ses dettes, Boris Becker a dû vendre aux enchères des récompenses qu’il avait dissimulées jusque-là à ses créanciers. Parmi celles-ci se trouvaient deux médailles de champion de Wimbledon…