(Moscou) Le premier long métrage tourné dans l’espace est sorti jeudi dans les salles obscures en Russie, suscitant à Moscou la fierté d’avoir battu un projet rival des États-Unis en pleine crise diplomatique liée au conflit en Ukraine.

Pour tourner Le défi, un film qui met en scène une chirurgienne dépêchée sur la Station spatiale internationale (ISS) pour opérer un cosmonaute blessé, la Russie a envoyé une actrice et un réalisateur en orbite en octobre 2021 pendant 12 jours.

Le projet, mené tambour battant pour devancer une initiative américaine concurrente avec Tom Cruise, est célébré comme un exploit en Russie, rappelant la concurrence spatiale entre Moscou et Washington lors de la Guerre froide.

« Nous sommes les premiers à avoir tourné un long métrage de fiction à bord d’un vaisseau en orbite, à nouveau les premiers », se félicitait ainsi Vladimir Poutine le 12 avril, qui joue souvent sur la nostalgie de l’ère soviétique, quand Moscou envoyait par exemple le premier homme dans l’espace, en 1961.

À Moscou, des badauds défilent devant la capsule spatiale Soyouz MS-18, qui a ramené sur Terre l’équipe ayant tourné le film et qui est désormais exposée au célèbre parc Gorki.

« Nous sommes fiers de nos acteurs russes », lance Polina Andreïeva, spécialiste en marketing. « Je n’arrive pas du tout à imaginer comment on peut voler dans l’espace, où tout est inconnu, où tout est étranger », dit-elle à l’AFP.

« C’est très intéressant de voir comment notre peuple progresse, qu’il a été le premier à réaliser un film dans l’espace », renchérit Tatiana Koulikova, employée dans une usine. « Nous sommes la Russie, et la Russie est toujours en avance », conclut-elle.

Formation accélérée

Si ce film suscite autant d’orgueil, c’est aussi parce que la Russie traverse une période de profonde crise diplomatique avec l’Occident depuis le lancement de l’offensive de Moscou contre l’Ukraine, en février 2022.

Les États-Unis et les pays européens ont imposé une série de sanctions diplomatiques et économiques à la Russie.

Pour le moment, le domaine spatial semble être l’un des derniers terrains de coopération entre Russes et Occidentaux, même si la concurrence est féroce, notamment depuis l’émergence d’acteurs privés, comme la société américaine SpaceX d’Elon Musk.

Signe du soutien de l’État, le film Le défi est coproduit par l’agence spatiale russe Roscosmos et la puissante chaîne télévisée publique Pervy Kanal, dont le dirigeant, Konstantin Ernst, ne cache pas sa joie d’avoir battu Hollywood.

« Nous sommes tous fans de Gravity », film hollywoodien sur l’espace sorti en 2013, a déclaré lundi M. Ernst, lors d’une conférence de presse de présentation du film russe.

« Mais notre Défi, tourné en apesanteur réelle, fait ressortir aujourd’hui les effets spéciaux numériques » du film américain, a-t-il taclé.

Les séquences tournées dans les 230 m3 du module russe de l’ISS et la participation des trois cosmonautes professionnels russes stationnés à bord donnent un effet d’authenticité au film, visionné en avant-première par l’AFP.

Le défi raconte la mission impossible d’une chirurgienne, incarnée par l’actrice Ioulia Peressild, envoyée sur l’ISS pour sauver un cosmonaute blessé par un débris lors d’une sortie dans l’espace.

Le réalisateur Klim Chipenko, 39 ans, qui a manié la caméra, l’éclairage et la prise de son, y a enregistré 30 heures d’images, dont 50 minutes sont utilisées dans le montage final.

La caméra suit l’actrice âgée de 38 ans se déplaçant dans l’espace exigu de l’ISS, sa chevelure blonde flottant en apesanteur. Les deux néo-cosmonautes ont suivi une formation accélérée de quatre mois avant d’être envoyés dans l’espace.

Le film a coûté « moins d’un milliard de roubles » (16,4 millions $), selon M. Ernst.