(Dacca) Des milliers de spectateurs ont inondé les salles obscures de Dacca vendredi à l’occasion de la sortie de Pathaan, superproduction indienne avec l’immense vedette Shah Rukh Khan et premier film de Bollywood distribué à grande échelle au Bangladesh en plus de 50 ans.

Ce film d’espionnage, réalisé par Siddharth Anand, a battu tous les records au box-office à sa sortie en Inde en janvier.

Dacca avait interdit les films indiens peu après son indépendance en 1971, cédant au lobbying des cinéastes locaux, même si l’Inde avait soutenu le Bangladesh dans sa guerre d’indépendance contre le Pakistan.

« Je suis surexcité, c’est la première fois qu’un film hindi sort au Bangladesh ! », se réjouit Sazzad Hossain, un étudiant de 18 ans, devant le Vedette Cineplex, dans le centre de Dacca, « je vais voir Shah Rukh Khan sur grand écran pour la première fois ! »

La sortie de Pathaan, premier film avec Shah Rukh Khan depuis quatre ans, était très attendue par ses fans, nombreux dans le monde entier.

L’acteur âgé de 57 ans, surnommé « King Khan » et « Badshah » en Inde, joue aux côtés de l’actrice Deepika Padukone et de John Abraham, comédien de films d’action.

Les cinémas bangladais sont en plein marasme, la production locale ne parvient pas à rivaliser avec le faste de Bollywood ni à séduire avec un Shakib Khan vieillissant, seule vedette rentable de l’industrie nationale.

Certaines salles se sont même mises illégalement à projeter des films pornographiques pour rester à flot. Plus de 1000 ont mis la clé sous la porte ces vingt dernières années.

« C’était la foire »

Sous les affiches de Jinn, nouveau film bangladais au Modhumita Cinema Hall, autrefois la plus prestigieuse salle de Dacca, traînaient quelques héroïnomanes cette semaine.

« À peine quelques rangées sont occupées. Personne ne vient voir ces films d’art et essai locaux et des intrigues médiocres », confie un employé du cinéma.

Pourtant les cinémas ont longtemps été au cœur de la vie sociale bangladaise.

« Cette salle était comme un haut lieu de rencontre de la communauté du Vieux Dacca », affirme à l’AFP Pradip Narayan devant le Manoshi Complex, une salle de cinéma centenaire transformée en marché en 2017.

« Les femmes venaient la nuit pour regarder des films ici. Nos mères et nos sœurs venaient des régions voisines, et quand la séance se terminait à minuit ou minuit et demi, c’était la foire ici », se souvient ce commerçant du voisinage.

« Une femme a même accouché dans cette salle. Tel était l’engouement pour le cinéma à l’époque », poursuit-il.

En 2015, les autorités ont tenté de lever l’interdiction des films indiens après le succès de deux films bollywoodiens projetés dans quelques salles, mais la colère de vedettes locales les a contraintes à mettre fin à l’initiative.

Le gouvernement a finalement publié un décret le mois dernier autorisant l’importation de dix films par an en provenance de l’Inde ou de l’Asie du Sud.

« Cela changerait la donne »

« Au Pakistan, le nombre de cinémas est tombé à 30-35. Ensuite, ils ont autorisé l’importation de films indiens en hindi », a expliqué le ministre de l’Information, Hasan Mahmud « depuis, ils sont environ 1200 et la qualité des films pakistanais s’est également améliorée ».

Pathaan est sorti dans 41 salles à travers le pays et de nombreuses séances dans la capitale affichent déjà complet, se félicite le distributeur Anonno Mamun.

L’autorisation de projeter des films de Bollywood « changerait la donne », dit-il à l’AFP, « tout le monde aime les films hindis ici. Beaucoup aiment aussi les films du sud de l’Inde ».

Le propriétaire du cinéma Modhumita, Mohammed Iftekharuddin, ancien président de l’Association des exploitants de salles du Bangladesh, espère un retournement de situation.

« Je pense que de 200 à 300 salles de cinéma supplémentaires rouvriront après cela », prédit-il, « le monopole détruit les affaires. Quand il y aura de la concurrence, le commerce marchera ».

Mais les cinéastes bangladais s’inquiètent et certains menacent de manifester enveloppés de linceuls pour annoncer la mort de l’industrie locale.

« Ils ne savent pas que l’industrie cinématographique mexicaine a été détruite après l’ouverture du marché aux productions hollywoodiennes », argue le réalisateur bangladais Khijir Hayat Khan.