(Cannes) Après avoir célébré son 75e anniversaire avec faste l’an dernier, le Festival de Cannes compte maintenant amorcer un nouveau chapitre de son histoire. Du renouveau, une présence accrue des femmes dans l’organisation et les comités de sélection, avec, toujours, des polémiques sans lesquelles le plus grand festival de cinéma du monde ne serait pas ce qu’il est.

Les heures sont comptées avant l’ouverture, ce mardi, du 76e Festival de Cannes. Tout autour du Palais des festivals, les ouvriers s’agitent, le tapis rouge se déploie, les badauds réservent déjà leur place en installant leur escabeau, les festivaliers courent comme des poules sans tête pour mettre la main sur leur précieux badge tout en conspuant le système de billetterie électronique qui, bien sûr, a des ratés.

« Mais si vous pensiez que ce festival en est un de violeurs, vous ne seriez pas là à m’écouter, à imaginer prendre votre accréditation, à protester parce que vous n’avez pas de ticket. » Thierry Frémaux a fait cette déclaration spectaculaire lundi en s’adressant aux journalistes réunis dans la salle des conférences de presse. Le délégué général a été appelé à commenter la récente sortie – fracassante – de l’actrice Adèle Haenel dans une missive où elle expliquait son retrait du milieu du cinéma, dénonçant du même coup tout un système – dont Cannes fait partie, selon elle – protégeant les agresseurs sexuels.

« Elle a parlé de Cannes, sans doute pour des raisons de radicalité, mais son commentaire est tout à fait faux, erroné. Je ne lui en veux pas de penser maintenant le contraire, mais elle ne pensait pas ça lorsqu’elle est venue comme actrice au festival », a déploré Thierry Frémaux.

PHOTO SARAH MEYSSONNIER, REUTERS

La veille de l’ouverture du 76e Festival de Cannes, le délégué général Thierry Frémaux a répondu aux questions des journalistes.

Au-delà des affaires d’inconduite sexuelle et du mouvement #metoo, qui a fortement secoué le milieu du cinéma mondial, le peu de place faite aux femmes dans les sélections cannoises a depuis longtemps fait l’objet de débats et de critiques. Il se trouve pourtant que, cette année, sept réalisatrices peuvent espérer obtenir la Palme d’or, un record. S’il refusait les critiques à l’époque où l’on dénonçait l’absence notoire de réalisatrices en compétition, le délégué général ne se donne pas non plus le crédit de ces sélections plus nombreuses.

« Je n’ai pas plus de mérite en sélectionnant sept réalisatrices que de critiques à recevoir quand il y en avait moins. C’est une évolution. En 2021, Julia Ducournau a gagné la Palme d’or grâce à Titane, mais cette année-là, tous les autres prix de Cannes (Palme d’or du court métrage, Un certain regard, Caméra d’or) ont été remportés par des réalisatrices. Or, je n’ai pas vu beaucoup d’analyses soulignant le phénomène. »

Je trouve normal que Cannes ait été attaqué il y a 10 ans sur cette question. Mais il y a maintenant une évolution réelle dont on parle trop peu. Le regard féminin amène une autre façon de raconter. C’est quelque chose qui manquait au cinéma.

Thierry Frémaux, délégué général du 76e Festival de Cannes

L’Autrichienne Jessica Hausner (Club Zero avec Mia Wasikowska), les Françaises Justine Triet (Anatomie d’une chute avec Sandra Hüller et Swann Arlaud), Catherine Breillat (L’été dernier avec Léa Drucker et Olivier Rabourdin) et Catherine Corsini (Le retour), l’Italienne Alice Rohrwacher (La chimera avec Isabella Rossellini et Josh O’Connor), la Sénégalaise Ramata-Toulaye Sy (Banel e Adama est son premier film) et la Tunisienne Kaouther Ben Hania (Les filles d’Olfa est un docudrame) tenteront ainsi de succéder à Jane Campion (The Piano en 1993) et Julia Ducournau (Titane en 2021), jusqu’ici les deux seules réalisatrices à avoir obtenu le laurier suprême.

Rappelons que parmi les 21 cinéastes pouvant prétendre à la Palme d’or, cinq sont d’anciens lauréats. Le Japonais Hirokazu Kore-eda (Une affaire de famille, lauréat en 2018) est de retour avec Monster, l’Italien Nanni Moretti (Palme d’or en 2001 avec La chambre du fils) proposera Il sol dell’avvenire (Mathieu Amalric y donne la réplique au cinéaste), le Turc Nuri Bilge Ceylan (primé en 2014 grâce à Winter Sleep) lancera Les herbes sèches, l’Allemand Wim Wenders, dont le Paris, Texas avait obtenu la Palme en 1984, reprend du service avec Perfect Days, sans oublier Ken Loach avec The Old Oak. Le vétéran britannique, lauréat en 2006 grâce à The Wind that Shakes the Barley, de même qu’en 2016 grâce à I, Daniel Blake, pourrait marquer l’histoire en devenant le tout premier cinéaste à obtenir la Palme d’or pour la troisième fois.

Johnny Depp en ouverture

Une polémique arrivant rarement seule, Thierry Frémaux a aussi dû expliquer le choix d’ouvrir ce mardi le festival avec Jeanne du Barry, un film de Maïwenn marquant le retour de Johnny Depp au cinéma. Une journaliste du Variety a en outre fait remarquer au délégué général qu’à cause du procès très médiatisé l’opposant à son ancienne femme Amber Heard, la vedette de Pirates des Caraïbes est aujourd’hui une figure très controversée aux États-Unis, que « son image est très différente de celle qu’il a en France », et que cette sélection a choqué les Américains.

PHOTO STÉPHANIE BRANCHU, FOURNIE PAR LE PACTE

Johnny Depp montera les marches en compagnie de Maïwenn. Présenté hors compétition, Jeanne du Barry, un film de Maïwenn, a l’honneur d’ouvrir le 76e Festival de Cannes.

« Je ne connais pas l’image de Johnny Depp aux États-Unis, a répondu le délégué général. J’ai une seule conduite dans la vie : la liberté de penser, de parler, et d’agir dans le cadre de la loi. Si on avait interdit à Johnny Depp de jouer dans un film, et si ce film-là avait été interdit, nous ne serions pas ici en train d’en parler. Nous, on a vu le film et l’on ne s’est pas posé de question de cette nature. Question qui, soit dit en passant, a été soulevée seulement lors de l’annonce de la sélection. Je ne me suis pas intéressé du tout au procès. Johnny Depp m’intéresse comme acteur. »

Maïwenn a d’ailleurs confirmé que l’acteur américain allait l’accompagner lors de la montée des marches ce mardi. Johnny Depp ira-t-il jusqu’à se présenter devant les journalistes lors de la conférence de presse prévue mercredi ? Cela reste à voir.

Mais, polémiques ou pas, Thierry Frémaux se réjouit à l’idée que pendant les deux prochaines semaines, « le cinéma sera au cœur du monde », s’est-il plu à dire. Peu de gens sur la Croisette oseraient le contredire.