(Emeryville, États-Unis) En près de 23 ans chez Pixar, Peter Sohn a fait un peu de tout : animation, scénarisation, voix, réalisation. Elemental est son œuvre la plus récente et la plus personnelle. La Presse a rencontré le cinéaste ainsi que la productrice Denise Ream, en Californie.

« Il y a quelques années déjà, j’ai participé à un évènement à New York durant lequel j’ai remercié mes parents. J’ai réalisé à ce moment qu’ils sont venus ici sans connaître la langue, sans argent, et qu’ils ont bâti une nouvelle vie pour mon frère et moi. Quand je suis revenu chez Pixar, j’ai raconté cette histoire et on m’a dit : “C’est ton prochain film !” », se remémore Peter Sohn lorsqu’on lui demande l’origine d’Elemental, Élémentaire en version française.

Pour rédiger son scénario, le cinéaste de 45 ans s’est donc inspiré de ses parents coréens qui ont immigré à New York au début des années 1970, puis de sa relation avec sa femme italo-américaine.

Ce qu’on voit dans le film, je l’ai vécu toute ma vie. J’ai grandi dans une ville dans laquelle je ne me sentais pas à ma place. Petit à petit, j’ai compris que chaque connexion avec quelqu’un permet au monde de s’ouvrir.

Peter Sohn, réalisateur

Ainsi, la famille Lumen d’Elemental représente un peu celle de Peter Sohn. Le couple formé de Bernie (Ronnie del Carmen) et Cinder (Shila Ommi) quitte sa terre natale de Fireland pour s’installer dans le quartier Firetown, dans la métropole cosmopolite Element City. Ensemble, ils ouvrent Fireplace, un dépanneur-café, qui est également un lieu de rassemblement de la communauté Feu. Leur fille Ember (Leah Lewis) vient au monde dans les allées de l’entreprise familiale, vouée à prendre la relève de son père.

PHOTO JOHN LAMPARSKI, FOURNIE PAR DISNEY

Le réalisateur d’Elemental Peter Sohn au cours d’un évènement promotionnel à New York, le 18 mai dernier

Les Flamboyants ne sortent que très rarement de leur secteur ; « les éléments ne se mélangent pas », rappelle Cinder à sa fille. La rencontre entre cette dernière et Wade Ripple (Mamoudou Athie), un Aquatique, lui fera toutefois réaliser qu’Eau, Terre et Air se côtoient au quotidien. En découvrant la ville avec son nouvel ami, Ember subira de la discrimination, mais s’apercevra surtout que plus d’un chemin s’offre à elle.

IMAGE FOURNIE PAR PIXAR

Des résidants d’Element City, dont Gale (Wendi McLendon-Covey), Ember (Leah Lewis) et Wade (Mamoudou Athie), assistent à un match d’Air Ball.

Donner vie au feu et à l’eau

« Je m’amusais avec le tableau périodique des éléments quand j’étais à l’école. Je le voyais comme un immeuble d’habitation et chaque case était occupée par un personnage différent que je dessinais, se rappelle Peter Sohn. Ce souvenir m’est revenu et j’ai fait un lien avec l’histoire de mes parents. Je me suis dit : “Ces éléments pourraient venir d’un autre pays.” Je ne savais pas comment illustrer les éléments radioactifs, alors j’ai choisi la terre, l’eau, le feu et l’air. »

IMAGE PETER SOHN, FOURNIE PAR PIXAR

Un des nombreux dessins que Peter Sohn a tracés durant la création du film

Celui qui a également écrit et réalisé The Good Dinosaur et le court métrage Partly Cloudy ne se doutait pas que transformer ces éléments en personnages animés serait si complexe. « Notre studio peut faire des jouets, des voitures, des humains, mais toute la route pour amener à l’écran ces personnages faits d’effets spéciaux était à bâtir », souligne l’artiste qui a aussi travaillé sur Finding Nemo, The Incredibles et Ratatouille.

« Peter voulait à la fois caricaturer les éléments et mettre de l’avant la profondeur de l’animation 3D, ajoute la productrice Denise Ream. Nous avons commencé par Ember, qui était vraiment terrifiante à certaines étapes de la création. C’était important pour nous qu’elle soit faite de feu, et non qu’elle soit une personne en feu. »

IMAGE FOURNIE PAR PIXAR

Sept ans ont été nécessaires pour achever Elemental.

Divers points de vue et influences

Sept ans ont été nécessaires pour achever Elemental. Puisque Peter Sohn et Denise Ream ont déterminé dès le départ que la phase technique serait longue et coûteuse, ils ont pris le temps de peaufiner l’histoire. Le vécu du réalisateur a toujours été la base, mais le duo désirait obtenir une variété de points de vue.

PHOTO DANIEL COLE, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Pete Docter (producteur), Vincent Lacoste (acteur, voix de Flack en français), Adele Exarchopoulos (actrice, voix de Flam en français), Denise Ream (productrice) et Peter Sohn au 76e Festival de Cannes, à la fin de mai

Assez tôt dans le projet, nous avons envoyé un courriel à tous les employés de Pixar demandant si des immigrants de première ou de deuxième génération voulaient nous parler de leur expérience. Plus de 200 personnes ont répondu. Nous en avons rencontré une centaine et plusieurs d’entre elles ont travaillé sur le film. De façon subtile ou non, leurs histoires ont été intégrées.

Denise Ream, productrice

Elemental est aussi – et même surtout – une histoire d’amour. Des classiques de différentes époques ont guidé Peter Sohn et les scénaristes John Hoberg, Kat Likkel et Brenda Hsueh dans leurs choix par rapport au ton et à l’ambiance.

« It Happened One Night, Working Girl, Le fabuleux destin d’Amélie Poulain, Moonstruck, énumère Peter Sohn. Des drames familiaux comme The Godfather, My Big Fat Greek Wedding et beaucoup d’autres nous ont inspirés. [...] En sept ans, il s’est passé tellement de choses dans le monde, mais l’empathie et la compassion envers les autres ont toujours été au cœur et seront toujours essentielles. »

Les leçons de Dug

Comme le veut la tradition chez Pixar, Elemental est précédé d’un court métrage. Carl’s Date voit le retour de deux personnages du film Up et de la série Dug Days. Edward Asner, qui nous a quittés en 2021, est de nouveau la voix de Carl, alors que Bob Peterson prête encore une fois la sienne à Dug, en plus de signer le scénario et la réalisation. La Presse a rencontré ce dernier dans les studios à Emeryville.

« J’ai eu des chiens toute ma vie et la voix de Dug est celle que j’ai toujours utilisée pour leur parler. Leur joie, leur naïveté et leur spontanéité m’ont aussi inspiré, indique Bob Peterson. Quand j’étais moniteur de camp, un des enfants est venu me voir le premier jour et m’a dit : “Tu es mon moniteur et je t’aime.” Je ne le connaissais pas du tout, mais cette joie extraordinaire m’a marqué et je me suis dit que je pourrais m’en servir un jour. »

Dug, qui est capable de parler grâce à un collier spécial, s’exprime ainsi avec une franchise débordante et un besoin constant d’approbation. Dans Carl’s Date, il aide son maître à se préparer à son premier rendez-vous romantique depuis la mort de sa chère Ellie.

« Les chiens sont en phase avec nous. Si nous sommes tristes, ils seront tristes et si nous sommes heureux, ils le seront aussi. Je crois que nous pouvons nous inspirer de leur joie. Ils sont plus intelligents que nous le pensons », remarque Bob Peterson.

Les frais de déplacement et d’hébergement ont été payés par Disney, qui n’a exercé aucun droit de regard sur le contenu de ce reportage.