(Los Angeles) L’Américain William Friedkin, Oscar du meilleur réalisateur pour French Connection (1971) et consacré maître de l’épouvante avec L’Exorciste (1973), est mort lundi à Los Angeles à l’âge de 87 ans, selon un ami de la famille.

« Il est mort ce matin », a déclaré à l’AFP Stephen Galloway, un ancien salarié du Hollywood Reporter, après avoir parlé à l’épouse du cinéaste. William Friedkin « a travaillé jusqu’à il y a quelques semaines », a-t-il précisé, « mais sa santé était déclinante ».

Intronisé maître de l’épouvante avec L’Exorciste, le réalisateur américain William Friedkin, enfant terrible du Nouvel Hollywood et éphémère mari de Jeanne Moreau, a filmé l’âme humaine à la frontière du bien et du mal.

Quand L’Exorciste sort aux États-Unis en 1973, William Friedkin a déjà plusieurs films et documentaires à son actif. Deux ans plus tôt, French Connection l’a propulsé parmi la nouvelle génération hollywoodienne affranchie des codes classiques, aux côtés de Francis Ford Coppola et Martin Scorsese.

Dans cette adaptation du roman de Robin Moore, deux flics new-yorkais tentent d’intercepter une cargaison de stupéfiants acheminée par la mafia marseillaise. Drogue, planques interminables et course-poursuite mythique : le polar nerveux remporte cinq Oscars, dont celui du meilleur réalisateur.

Mais Friedkin s’impose réellement comme un cinéaste incontournable avec l’histoire d’une jeune fille de 12 ans habitée par un démon, adaptée du roman de William Peter Blatty. L’Exorciste, deux Oscars et quatre Golden Globes en 1974, mélange horreur, malaise et perversion. Non-croyant, Friedkin raconte que ce classique à la bande originale aussi glaçante qu’une main froide posée sur la nuque, est basé sur un cas « authentique » de possession démoniaque.

PHOTO MICHEL SPINGLER, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

William Friedkin

Quatre décennies plus tard, il reviendra sur le sujet avec The Devil and Father Amorth (2017), documentaire sur l’exorciste du Vatican. « Je ne serai jamais plus le même après cette expérience », assure-t-il.

Adepte des premières prises et des scènes d’action tournées caméra à l’épaule, William Friedkin est aussi réputé pour son caractère difficile et ses tournages houleux. Dans L’Exorciste il n’hésite pas à tirer à blanc près des acteurs ou à les gifler pour obtenir la réaction recherchée.

Le summum est atteint avec le tournage catastrophique du Convoi de la peur (Sorcerer) : désistement d’acteurs, cas de gangrène, scènes dangereuses. Sorti en 1977, ce remake du Salaire de la peur d’Henri-Georges Clouzot est un échec commercial car éclipsé par le premier opus de Star Wars, mais connaît un retour en grâce inattendu lors de sa sortie en version restaurée en 2015.

Jeanne Moreau et Proust

Né le 29 août 1935 à Chicago dans une famille modeste, admiratif de Citizen Kane d’Orson Welles, le jeune Friedkin fourbit ses premières armes dans une télé de Chicago : coursier, réalisateur d’émissions puis auteur d’un premier documentaire, The People vs. Paul Crump (1962), qui réussit à sauver un condamné de la chaise électrique. « J’ai pris ce jour-là conscience du pouvoir du cinéma », affirme-t-il.

Arrivé à Hollywood en 1965, il tourne des épisodes de séries dont l’un pour Suspicion, où un certain Alfred Hitchcock le rabroue pour ne pas porter de cravate.

« Je pense qu’en chacun de nous, il y a un bon côté et un côté sombre, et que c’est une lutte constante pour que le bien triomphe », estime William Friedkin, convaincu que « les personnages les plus intéressants de l’histoire mondiale sont Jésus et Hitler ».

Pour en témoigner, le réalisateur égratigne les penchants malsains de ses congénères : thriller immoral (Police fédérale, Los Angeles, 1985), enquête d’un policier (Al Pacino) dans le monde sado-masochiste homosexuel new-yorkais (Cruising, 1980), comédie noire et sanglante avec Matthew McConaughey (Killer Joe, 2011).

Friedkin s’invite aussi là où on l’attend moins, réalisateur du clip angoissant Self control, tube disco de la starlette Laura Branigan, puis metteur en scène d’opéras dans les années 1990.

Connaisseur du cinéma français, il tombe amoureux de l’une de ses plus grandes actrices, Jeanne Moreau. Premier mariage pour lui, second pour l’héroïne de Jules et Jim : leurs noces célébrées à Paris en 1977 s’achèvent deux ans tard.

Avant leur divorce, Jeanne Moreau lui inocule la passion de Proust. Friedkin dévore À la recherche du temps perdu et devient un inconditionnel, parcourant la capitale et Illiers-Combray dans les pas de l’écrivain.

Père de deux fils, William Friedkin a été marié à trois autres reprises et vit avec la productrice Sherry Lansing.

Affublé de ses éternelles lunettes aviateur – et toujours sans cravate – il a reçu, à 78 ans, un Lion d’or spécial pour l’ensemble de sa carrière à la 70e Mostra de Venise en 2013.