(Venise) Une pieuvre géante m’a sauté au visage lorsque j’ai ouvert une page de ce livre ingénieux et bien particulier. Une jeune femme tentait d’éviter les tentacules du mollusque monstrueux. Elle pagayait comme une damnée en affrontant la houle dans son canot qui tanguait dangereusement.

J’ai compati avec elle. Une heure de trajet de vaporetto à partir de l’aéroport sur la lagune de Venise m’a rappelé mardi après-midi que je n’ai pas le pied marin malgré mes origines gaspésiano-siciliennes. Je tangue dans ma tête, malgré la terre ferme. Ben oui, je sais, vous ne me plaignez pas…

Paul Raphaël m’a donné un coup de main. Littéralement. Il a incliné le livre que je tenais à plat devant moi et l’eau de mer du récit a semblé se déverser de tous les côtés de la page. Dire que j’ai été surpris serait un euphémisme.

Paul Raphaël est sur place pour la première fois au Festival international du film de Venise, l’un des premiers évènements de cette envergure à s’intéresser à la réalité virtuelle. L'entreprise Felix & Paul Studios, qu’il a cofondée il y a 10 ans à Montréal avec Felix Lajeunesse, fait l’objet d’une double reconnaissance de la 80e Mostra du cinéma, qui s’ouvre officiellement ce mercredi avec le long métrage Commandante de l’Italien Edoardo De Angelis.

PHOTO GABRIEL BOUYS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Venise se prépare à recevoir les cinéphiles !

Raconter de manière révolutionnaire

Le projet de livre en réalité augmentée Jim Henson’s The Storyteller : The Seven Ravens – celui avec la pieuvre géante et la page « à débordement » – a été présenté en première mondiale mardi. Il a été sélectionné en compétition dans le volet Venice Immersive, alors que le film en réalité virtuelle Space Explorers : Blue Marble-Orbit 1, aussi produit par Félix Lajeunesse et Paul Raphaël, a été choisi parmi les 10 meilleures « expériences immersives », dans ce même volet de la Mostra.

PHOTO FOURNIE PAR FELIX & PAUL STUDIOS

Blue Marble-Orbit 1

The Storyteller : The Seven Ravens, dont la narration est assurée par l’auteur à succès Neil Gaiman, est l’occasion de dévoiler toute nouvelle plateforme innovante, à la fine pointe de la technologie.

Ce qui se présente comme un banal livre aux pages noires vides s’anime sous nos yeux, et de la plus renversante des façons (et je ne parle pas que de l’eau de mer).

On y découvre un conte de fées classique des frères Grimm, revisité par la société Jim Henson (The Muppets). L’histoire d’Emma, une courageuse jeune femme qui part à l’aventure afin de libérer ses sept frères d’un mauvais sort par lequel ils ont été transformés en corbeaux. Le conte n’est peut-être pas révolutionnaire, mais la manière de le raconter l’est certainement.

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

Paul Raphaël

On tourne les pages après chaque séquence et c’est comme si les livres en relief de notre enfance prenaient soudainement une tout autre dimension. Grâce aux lunettes de réalité augmentée, ce ne sont plus des maisons en carton qui s’érigent, mais un univers minutieusement détaillé qui apparaît, avec des personnages animés en pleine action.

On est tantôt plongé au fond d’un puits, tantôt découvrant un secret à travers le trou d’une serrure, tantôt témoin d’une scène épique autour d’éléments qui se déchaînent, boules de feu, vagues d’eau de mer ou rayons de glace, que l’on peut observer de tous les angles possibles. Jamais un livre n’a été plus spectaculaire.

PHOTO FOURNIE PAR LES STUDIOS FELIX & PAUL

The Storyteller : The Seven Ravens

L'entreprise Felix & Paul Studios, qui compte quelque 70 employés dans ses locaux du Vieux-Montréal, travaille sur ce projet fabuleux depuis cinq ans. Et, bonne nouvelle : il sera présenté au Centre PHI au début de l’an prochain.

« C’est un projet qui était en avance sur son temps, mais ça s’en vient ! remarque Paul Raphaël. L’idée à Venise, c’est de montrer la promesse de ce que ça pourrait être. On est en discussion avec plusieurs studios, pour une commercialisation éventuelle dans les deux ou trois prochaines années, quand il y aura un marché assez important. »

En plus de The Storyteller : The Seven Ravens, l’expérience de réalité virtuelle Blue Marble-Orbit 1 est proposée pendant la Mostra aux visiteurs du stand Québec créatif sur l’île immersive de Venise, complètement consacrée aux projets de réalité virtuelle jusqu’au 9 septembre.

Blue Marble-Orbit 1 permet, à l’aide d’un casque de réalité virtuelle, d’observer la Terre en orbite à partir de la Station spatiale internationale, grâce à une caméra offrant une perspective de 360 degrés, spécialement conçue et fabriquée pour l’occasion. J’ai eu l’impression de flotter dans l’espace, avec la Terre en rotation sous mes pieds et l’infini au-dessus de ma tête, dans une méditation émouvante et apaisante.

Felix & Paul Studios, qui propose cet été dans le Vieux-Port de Montréal la fabuleuse expérience interactive L’Infini, a réalisé plusieurs projets avec la NASA ces dernières années. Blue Marble-Orbit 1 est le premier d’un triptyque qui sera bientôt dévoilé.

Paul Raphaël participera à l’évènement Meet the Québec Creators le 2 septembre, à la Mostra. Le studio qu’il dirige avec Félix Lajeunesse a réalisé une trentaine de projets – et remporté quantité de prix Emmy – notamment avec le Cirque du Soleil et le couple Barack et Michelle Obama.

Le Québec en vedette

PHOTO FRANÇOIS ROY, ARCHIVES LA PRESSE

Monia Chokri

La 80e Mostra de Venise mettra en lumière le travail non seulement de Felix & Paul Studios, mais aussi de plusieurs autres créateurs québécois (le « focus » de son marché est axé sur le Québec et l’Allemagne). Pas moins de six productions ou coproductions québécoises ont été sélectionnées en compétition au Festival, soit trois en sélection officielle et trois autres dans les sections parallèles (Giornate degli Autori et Final Cut in Venice).

Cette présence québécoise exceptionnelle prendra différentes formes. Il y aura jeudi une projection hommage de C.R.A.Z.Y. du regretté Jean-Marc Vallée, un film qui avait connu sa première mondiale à Venise.

Le même jour, la réalisatrice et actrice Monia Chokri proposera une classe de maître. Et le 3 septembre, une conversation Québec-Allemagne est prévue entre les réalisateurs Philippe Falardeau et Edward Berger (À l’ouest, rien de nouveau).

Yannick Nézet-Séguin devrait aussi être sur place au Lido pour Maestro, film biographique sur le célèbre chef d’orchestre Leonard Bernstein, réalisé et interprété par Bradley Cooper, auquel le maestro québécois a collaboré à titre de consultant à la direction d’orchestre et chef de la trame sonore. La Bête de Bertrand Bonello, sélectionné en compétition officielle, a été coproduit par les Québécois Xavier Dolan et Nancy Grant. L’acteur franco-québécois Niels Schneider est de la distribution du nouveau film de Woody Allen, Coup de chance, et de la série télé de Xavier Giannoli, D’argent et de sang.

Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, premier long métrage de la Québécoise Ariane Louis-Seize, sera présenté dans la section Venice Days, tout comme Quitter la nuit, une coproduction mettant notamment en vedette Anne Dorval, réalisée par Delphine Girard, une cinéaste belge née au Québec.