Ils attendaient depuis près de deux heures en file, espérant obtenir une place à la classe de maître donnée par Wes Anderson. Des étudiants en cinéma pour la plupart ou de jeunes cinéastes, acteurs et techniciens en herbe. Au moins les deux tiers ont été refoulés à la porte.

Pour les chanceux qui ont pu accéder à la salle de conférence de presse, Anderson a été généreux, aussi charmant, vif, drôle et brillant que ses films, parlant de son parcours, donnant quelques conseils, avec cette autodérision qui lui est propre. Avec ses airs de dandy débonnaire d’une époque indéfinie : chemise cobalt sur complet crème et cheveux mi-longs.

« Lorsque nous entreprenons un projet, a-t-il commencé par dire, c’est toujours avec au moins deux éléments qui ne vont pas nécessairement bien ensemble. » Le film est un résultat de ce mariage d’éléments disparates, précise ce grand cinéphile, citant l’exemple de The Darjeeling Limited, une œuvre née du désir de filmer sur un train et de mettre en scène trois frères, inspirée par Le fleuve de Jean Renoir (1951) et le cinéma du grand Satyajit Ray.

En passant, non, Anderson ne parle pas de lui-même à la première personne du pluriel. Il parle constamment au « nous », en faisant référence à ses collaborateurs, dont le scénariste Roman Coppola, qui était dans la salle.

Roman dit qu’on écrit un film comme dans une forêt que l’on a déjà visitée et que l’on redécouvre. C’est une métaphore. Il n’y a pas vraiment de forêt…

Wes Anderson

Il y a beaucoup de recherche dans sa préparation, dit-il, mais au moment du tournage, il se laisse guider par les aléas de la production. Il navigue, comme en témoignent ses cadres symétriques et ses idées folles, entre le contrôle et la liberté de création. « On veut bien sûr contrôler la façon dont on raconte une histoire, mais on invite aussi le chaos dans sa vie quand on fait un film », explique Anderson, en évoquant le tournage en mer complexe de The Life Aquatic with Steve Zissou.

Certains, il en est conscient, prétendent que chez lui, la forme prime toujours le fond. Qu’il y a dans son champ lexical cinématographique trop d’artifices. Le mot, prononcé par la modératrice, le fait tiquer.

« Tout film est un artifice, dit le cinéaste de 54 ans. Créer l’illusion de quelque chose, s’il y a du montage, est de l’artifice. Même dans le documentaire, il y a un micro et de l’éclairage. Il y a quelque chose de faux. J’utilise des conventions théâtrales dans mes films pour montrer comment on crée cette illusion. J’aime cette façon de faire, qui ne me “sort” pas du film, contrairement à d’autres. Certains me le reprochent, en disant que je crée une distance avec le spectateur. Ce n’est pas mon intention. Dans un film, l’émotion peut venir de partout. »

À ceux qui lui reprochent l’esthétique récurrente de ses films, un style envahissant, en somme, il a cette réponse intéressante.

Je n’y peux rien. C’est instinctif. Le style des films, c’est comme l’écriture manuscrite. C’est personnel. On ne contrôle pas ça !

Wes Anderson

Et s’il aime s’entourer souvent des mêmes acteurs, c’est parce qu’il aime cette impression de troupe, avec des acteurs qui s’ajoutent au groupe à chaque nouveau projet. « J’ai toujours fait des films avec des amis. Pour moi, un tournage est comme une réunion d’amis. Quand tu comptes parmi tes amis certains des meilleurs acteurs au monde, tu as envie de retravailler avec eux. Je pense qu’ils reviennent parce qu’ils se sentent aimés. »

Parlant de ses influences et inspirations, il évoque Star Wars et Steven Spielberg, dont il allait voir les films dans sa jeunesse à Houston. Puis Godard et Truffaut, qui avaient souvent des livres dans leurs films (notamment au générique d’ouverture des Deux Anglaises et le continent). « Comme eux, j’adore les livres. J’en achète plein, des livres, alors que je n’ai pas lu tous ceux que je possède déjà. Je ne vivrai pas assez longtemps pour lire tous les livres que j’ai, mais je continue d’en acheter ! »

A-t-il un conseil à donner à un jeune scénariste qui doute constamment de son travail ? « Je ne sais pas comment on bâtit sa confiance, mais je sais comment on la détruit », a-t-il dit, en racontant qu’à la projection-test de son premier long métrage, Bottle Rocket, la salle de 380 personnes s’est vidée des deux tiers. « J’étais trop confiant. Je regardais les gens partir et j’essayais de me convaincre qu’ils allaient aux toilettes. Sauf qu’ils partaient avec toutes leurs affaires… »

Le film, qui a coûté cinq millions à produire, n’a rapporté que le dixième de cette somme. « Ça n’a pas été un succès économique, mais beaucoup de gens de l’industrie l’ont vu, et comme on avait déjà un scénario, on a pu le tourner. »

Le résultat fut Rushmore, mettant en vedette un jeune Jason Schwartzman, acteur récurrent des films d’Anderson, qui est aussi le cousin de Roman Coppola et de sa sœur Sofia (qui présente Priscilla, en début de semaine à la Mostra).

Il n’a pas l’habitude d’écrire ses scénarios avec des acteurs en tête (« le scénario dicte ce qu’il veut »), mais il a tout de même construit son plus récent long métrage, Asteroid City, autour de Schwartzman. Un film qu’il a tourné dans le désert, en Espagne. « J’ai été très inspiré par Wim Wenders. Pourtant je suis du Texas et il est allemand ! J’ai adoré Alice dans les villes et Paris, Texas. Sa vision de l’Amérique s’approchait davantage de celle que je voulais dépeindre que de ma propre expérience de vie dans le désert texan. »

Que fait-il quand il est en panne d’inspiration ? lui a demandé une étudiante. Il se tourne parfois vers les gens qu’il connaît. Au journaliste qui, lors d’une projection à la Cinémathèque française, lui a naguère reproché d’avoir réalisé un film sur une « famille de fous », il a répondu que les personnages de The Royal Tenenbaums étaient tous inspirés de gens de son entourage.

Le plus souvent, dit-il en revanche, il combat le syndrome de la page blanche en s’inspirant de l’art des autres, que ce soit au cinéma, dans la musique ou au musée. « Ce qui me donne l’énergie à continuer, c’est de voir les autres le faire. Les artistes m’inspirent. »