(Paris) Steven Spielberg s’est intéressé à l’affaire, c’est finalement Marco Bellocchio qui en fait un long métrage : l’Italien rouvre une page sombre de l’antisémitisme de l’Église catholique avec un film sur l’enlèvement d’un enfant juif de Bologne sur ordre papal.

L’Enlèvement revient sur l’affaire Edgardo Mortara, né au milieu du XIXe siècle. Cet enfant a été baptisé en secret par une domestique, puis soutiré à ses parents en 1858, à l’âge de sept ans. Un rapt sur ordre des autorités du pape antisémite et conservateur Pie IX, afin d’être éduqué dans la religion catholique à Rome.

Après les Brigades rouges (encore récemment dans la minisérie Esterno Notte) ou la lutte antimafia (Le Traître), Bellocchio se penche cette fois sur une affaire qui a défrayé la chronique en son temps, puis est tombée dans un relatif oubli.

« C’est un épisode important de l’histoire italienne, car c’est l’un des tout derniers enlèvements opérés au nom de l’Église en Italie », retrace le cinéaste, dont le film, qui sort dans les salles mercredi en France, dénonce à la fois le dogme et le prosélytisme.

À l’époque, le pape est roi des États pontificaux et l’Italie en train de s’unifier.

« Les forces libérales, progressistes, ont interprété cet évènement comme barbare, et ce petit fait a suscité un grand scandale dans le monde entier », poursuivait-il, lors d’une interview à Cannes en mai, où son film était en compétition.

Sous forme de fresque historique, le long métrage retrace le combat de la famille Mortara contre l’Église pour récupérer le petit Edgardo, jusqu’à un procès intenté par les nouvelles autorités laïques à l’ancien inquisiteur de la ville, maître d’œuvre de l’enlèvement.

À l’enjeu politique s’ajoute une dimension intime, dans une famille percutée par l’histoire de l’Italie en train de s’écrire, lors du Risorgimento, l’unification du pays.

Edgardo, lui-même, semble pris dans un « syndrome de Stockholm », écartelé entre la fidélité à sa famille et au catholicisme. Il deviendra prêtre, ne quittera jamais les ordres et tentera jusqu’au bout de convertir sa mère.

Violence objective

L’histoire, qui montre aussi l’antisémitisme de Pie IX, a intéressé Steven Spielberg, le réalisateur de La Liste de Schindler.

Marco Bellocchio relève d’ailleurs que dans le dernier Spielberg, The Fabelmans, très autobiographique, celui-ci met en scène un adolescent juif harcelé par ses camarades qui l’accusent d’avoir « tué le Christ ».

Cette attaque antisémite classique a inspiré à Bellocchio, éduqué dans le catholicisme avant de s’en émanciper, l’une des séquences les plus fortes de L’Enlèvement, où l’on voit Edgardo retirer les clous des mains et pieds d’un Jésus sur la croix.

Le réalisateur de 83 ans, l’un des plus grands noms du cinéma italien contemporain, s’est inlassablement attaqué aux institutions et à l’Église, pilier de la société italienne, notamment en 2002 avec Le Sourire de ma mère, présenté à Cannes.

« Parler de l’Église catholique était plus difficile dans les années 1950 ou 1960, quand la démocratie chrétienne avait un important pouvoir, fort et rigide » et qu’il régnait « une sorte de censure préventive », explique-t-il. Aujourd’hui, « le pouvoir de l’Église s’est réduit énormément. Il est dans une phase de recul, du moins dans la société civile ».

Interrogé par l’AFP sur les résonances entre le rapt raconté dans le film et ceux d’enfants ukrainiens emmenés en Russie depuis l’invasion, Bellocchio souligne avoir été « très frappé », même s’il a imaginé L’Enlèvement bien avant cette guerre. « C’est soit de la politique, soit la religion, mais, dans les deux cas, il y a une violence objective ».