Tourné les 24 et 25 novembre 1981 au Forum, le mythique concert Queen Rock Montreal gagne ces jours-ci les gigantesques écrans IMAX, qui peineront néanmoins à contenir le charisme de Freddie Mercury, que son petit short blanc peinait lui-même à contenir. Un des membres de l’équipe de sécurité du groupe, Walt Versen, raconte.

« Garde ce mot en tête lorsque tu vas revoir le spectacle : intensité. » L’émotion de Walt Versen traverse le téléphone. Il y a un peu plus de 43 ans, le colosse de 6 pi 5 po et 250 lb se joignait aux troupes de Queen en tant que garde du corps, à l’invitation d’un de ses anciens coéquipiers au sein de la formation de football de l’Université Northwestern en Illinois, Paul Korzilius (aujourd’hui imprésario de Bon Jovi).

Le jeune bloqueur n’avait alors à peu près aucune expérience de l’imprévisible univers du showbiz ; il avait tout de même assuré la sécurité lors de plusieurs spectacles à Chicago et accompagné Supertramp en tournée en 1979 (dont une visite à Montréal, au parc Jarry, les 24 et 25 juillet).

« Je ne connaissais rien à la vie en général et chaque jour avec Queen a été une fabuleuse leçon de rock’n’roll », confie l’homme de 65 ans, qui travaille au tournage d’un documentaire sur l’expérience de six footballeurs de l’Université Northwestern au sein de la caravane de Queen, Play the Game : A Jock ‘N’Roll Story.

Mais la plus grande leçon que j’ai apprise, c’est que la musique est un travail que l’on doit prendre au sérieux. Pour [les membres de] Queen, le show était plus important que tout. Rien ne pouvait les arrêter.

Walt Versen

Brian May racontait d’ailleurs lors de la première de la version restaurée de Queen Rock Montreal au BFI IMAX de Londres que Freddie Mercury s’était fendu d’une tempétueuse colère peu avant le début du premier spectacle, après avoir été informé que le réalisateur Saul Swimmer souhaitait que les membres du groupe portent les mêmes vêtements les deux soirs, afin de lui permettre de monter son film à partir des deux captations. Ce qui expliquerait, en partie, leur « jeu incisif et hargneux », selon la formule employée par le guitariste.

PHOTO FOURNIE PAR IMAX

Freddie Mercury sur la scène du Forum

« J’avais oublié avant de revoir le spectacle à quel point Queen avait une sensibilité punk, crue », ajoute Walt Versen. « Ce que l’on voit dans ce film, c’est quatre gars à l’apogée de leurs capacités. Sur IMAX, les visages de Freddie, Brian, John [Deacon, basse] et Rog [Roger Taylor, batterie] font 30 pieds, et ils sont si beaux. En novembre 1981, ils étaient au sommet du monde. »

Dans les yeux de Freddie

Lancée en 1982 sous le titre We Will Rock You, la première version de la captation de Saul Swimmer (The Concert for Bangladesh) aura beaucoup déplu à Brian May, compte tenu notamment de ses problèmes de synchronisme et de son obsession (compréhensible) pour Freddie Mercury qui, avec sa moustache et sa casquette du CH, est le point focal de beaucoup, beaucoup de plans.

« À l’époque, c’était une source de consternation pour nous », a-t-il expliqué lors de la première, rapporte le site web Louder, « parce que nous avions toujours été un groupe. Mais aujourd’hui, c’est une bénédiction, parce que maintenant que Freddie n’est plus là, c’est merveilleux de pouvoir voir le monde à travers ses yeux. »

Sa projection au format IMAX achève en quelque sorte l’œuvre rêvée par Saul Swimmer, qui souhaitait présenter le spectacle sur d’immenses écrans MobileVision, une technologie de son cru qui s’est éteinte aussi vite qu’elle s’est allumée.

PHOTO NEAL PRESTON, FOURNIE PAR QUEEN PRODUCTIONS

Le bassiste John Deacon avec, à gauche, Walt Versen

Pour Walt Versen, qui avait accompagné Queen partout dans le monde en 1980 et 1981 durant la tournée The Game, ce séjour à Montréal marquait déjà la fin de son association au groupe, avec qui son travail aura consisté à suivre pas à pas Brian May (chaque membre pouvait compter sur son protecteur) et – il rit – « à rester debout avec celui qui se couchait le plus tard ».

Être gentil

Aux yeux du massif p’tit gars de l’Illinois rural, né à l’aube des années 1960, les fêtes dans lesquelles Freddie Mercury les entraînait pouvaient certes étonner. « C’était pour moi un premier contact avec la communauté LGBTQ, souligne-t-il. Il se trouve que la première personne homosexuelle que j’ai connue était une des personnes les plus célèbres de la planète. »

La dernière conversation de Walt Versen avec Freddie Mercury aura eu lieu lors du festival Rock in Rio, en janvier 1985, où l’armoire à glace accompagnait la formation allemande Scorpions. « Fred était assis sur son trône dans une pièce remplie de gens », se remémore celui qui a travaillé toute sa vie dans le monde de la musique auprès d’artistes comme Genesis, REO Speedwagon et Don Felder (des Eagles). « Il m’a fait asseoir juste à côté de lui et il m’a parlé pendant des heures, comme si j’étais son prince. »

Sa plus importante leçon de rock’n’roll ? « J’ai appris, grâce à Freddie et à Brian, qu’il fallait être gentil. Que j’avais beau être fort et intimidant physiquement, l’essentiel, c’était d’être gentil. C’est ce qui fait tourner la roue. »

Sur les écrans IMAX jusqu’au 21 janvier

« Un phénomène extraordinaire »

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Jean-François Pouliot en 2015

Qu’ont en commun La grande séduction et Queen Rock Montreal ? Un nom : Jean-François Pouliot, réalisateur de la populaire comédie québécoise et assistant-caméraman sur le tournage, en 35 mm, du concert du groupe britannique en 1981. « Mon principal souvenir, c’est d’avoir passé beaucoup de temps dans les vestiaires du Forum, où je devais courir pour vider et remplir des magasins de pellicule vierge », dit le cinéaste (Votez Bougon, La guerre des tuques), qui était alors au début de la vingtaine. « Ah, et je me souviens aussi qu’à la fin de la deuxième soirée, on avait tous fait la file pour être payés en liquide, comme si on sortait d’une mine, ce qui était très inhabituel.

« Mais ce dont je me souviens surtout, c’est que Freddie Mercury était un phénomène électrisant. Visuellement, c’était extraordinaire. »