Le cinéaste Vincent René-Lortie, âgé de 30 ans, vient de réaliser tout un exploit. Son premier film, Invincible, a été sélectionné parmi les cinq finalistes pour l’Oscar du meilleur film court métrage de fiction.

Pour faire partie de ce groupe sélect – avec entre autres un certain Wes Anderson, qui a réalisé le court métrage The Wonderful Story of Henry Sugar –, le jeune cinéaste a déjoué tous les pronostics en coiffant au fil d’arrivée des films comme Strange Way of Life, de Pedro Almodóvar, ou encore The Shepherd, de Iain Softley (avec Ben Radcliffe et John Travolta).

Les films québécois Chat mort, d’Annie-Claude Caron et Danick Audet, et Oasis, de Justine Martin, qui faisaient partie de la liste de 15 films présélectionnés, ont été écartés de la sélection finale.

Mardi matin, Vincent René-Lortie se trouvait dans les bureaux montréalais du distributeur h264, avec les producteurs de Téléscope Films et toute l’équipe du film.

« Il était 8 h 30, nous raconte le cinéaste. Le dévoilement des finalistes se faisait à 5 h 30 à Los Angeles, ça se faisait live et ça allait vraiment vite, c’était comme arracher un diachylon. Quand j’ai entendu le nom du film, j’ai crié, puis j’ai pleuré. C’était un moment incroyable parce qu’honnêtement, on ne s’y attendait pas. »

Une histoire personnelle

Invincible est inspiré d’une histoire très personnelle, celle de son ami Marc-Antoine Bernier, mort tragiquement à l’âge de 14 ans après un séjour d’environ un an dans un centre jeunesse. Il est mort à la suite d’une fugue, qui s’est transformée en poursuite policière, sa voiture terminant sa course dans la rivière des Prairies.

« Cette histoire-là m’a beaucoup habité, nous dit Vincent René-Lortie. Quand j’ai terminé mes études à Concordia, je savais que j’allais faire un film sur cette histoire. Il y a environ six ans, j’ai pris contact avec sa famille, et j’ai commencé à écrire le scénario, qui est basé sur son histoire. Mais c’est surtout l’énergie de Marc et sa sensibilité que je voulais mettre de l’avant. »

Le jeune Léokim Beaumier-Lépine, qui incarne le personnage de Marc, a sans aucun doute contribué au succès du film lancé en 2022 au Festival du nouveau cinéma, et qui a remporté quelques prix dans le circuit des festivals depuis, dont le prix du meilleur court métrage de fiction au Festival du film jeunesse de Chicago ou encore le prix spécial du jury au Festival du court métrage de Clermont-Ferrand.

Invincible a également remporté le prix Iris du meilleur film court de fiction québécois l’an dernier.

« Au moment du tournage, Léokim avait presque l’âge de Marc, nous dit Vincent René-Lortie. Il avait 15 ans. C’est un garçon qui est très proche de ses émotions et qui comprenait très bien le personnage de Marc. C’est vrai qu’il porte le film sur ses épaules pendant 30 minutes. Il a reçu des prix à Montréal [Prends ça court] et à Bruxelles. Il peut jouer des émotions que très peu de jeunes peuvent jouer à cet âge. »

Les acteurs Isabelle Blais et Pierre-Luc Brillant interprètent par ailleurs les rôles de ses parents.

En s’investissant dans l’écriture du film et avec le recul nécessaire pour le tourner, Vincent René-Lortie avoue avoir pu faire le deuil de son ami, même s’il regrette aujourd’hui de s’être distancé de lui dans les derniers mois de sa vie.

PHOTO PATRICK SANFAÇON, LA PRESSE

Le cinéaste Vincent René-Lortie, dont le court métrage est finaliste aux Oscars

« Dans la dernière année [de sa vie], je le voyais moins parce qu’il était dans un centre jeunesse. Il n’était plus la même personne, il était difficile à suivre, mais Marc a été quelqu’un d’important dans ma vie, j’ai beaucoup de beaux souvenirs avec lui », nous dit le cinéaste qui a scellé une amitié solide avec lui au Collège Mont-Saint-Louis, où ils se sont connus. 

La famille de Marc-Antoine Bernier a suivi toutes les étapes de la production du film, jusqu’au montage final.

« Je leur ai fait une projection privée chez eux, avant la sortie du film, nous dit Vincent René-Lortie. Eux doivent vivre avec ce deuil-là toute leur vie, donc c’était important pour moi qu’ils soient confortables avec le film. Après, ils ont assisté à presque toutes les projections qui ont eu lieu à Montréal. Je ne veux pas leur mettre des mots dans la bouche, mais je crois que ça leur a permis de se reconnecter un peu avec Marc. »

Le distributeur h264 en est à sa troisième sélection aux Oscars, après Marguerite, de Marianne Farley, et Fauve de Jérémy Comte en 2019. Nous avons demandé à Jean-Christophe Lamontagne s’il y avait une « recette » gagnante pour se rendre jusqu’à la finale du Saint Graal du cinéma.

« C’est difficile à dire, répond-il. Fauve avait été présenté dans tous les grands festivals, de Sundance à SXSW, en remportant plusieurs prix, et Marguerite, qui avait été refusé dans ces festivals-là, avait plutôt été projeté dans des festivals nichés, et malgré tout, il a été remarqué. Donc, non il n’y a pas de recette, il faut juste trouver le bon parcours pour chaque film, même si à la base, il faut bien sûr qu’il y ait un langage universel qui puisse toucher tout le monde, ce qui est le cas de ces trois films. »

Le cinéaste Philippe Falardeau a soutenu publiquement le film de Vincent René-Lortie, un « plus » pour le jeune réalisateur qui soumettait un premier film indépendant dans la course aux Oscars. « Philippe a beaucoup aimé Invincible, et comme il a déjà été nommé aux Oscars pour son film Monsieur Lazhar [en 2011], c’est sûr que ça nous a aidés, parce que les autres films étaient soutenus par de gros studios, Sony, Disney, Netflix… »

Comme il faut toujours avoir un coup d’avance, Vincent René-Lortie travaille depuis un an sur un projet de long métrage qui porte le titre de travail Ce qui nous sépare. « C’est le projet qui me garde réveillé la nuit. » Le cinéaste ne veut pas trop en parler, mais ce sera une fiction qui explorera encore une fois le thème de la santé mentale, mais « d’un point de vue personnel ». Il coécrit le scénario avec la scénariste et réalisatrice Clara Milo.

Mais dans quelques semaines, il mettra tout ça de côté pour s’en aller à Los Angeles avec toute son équipe de production (Samuel Caron et Élise Lardinois) et de distribution (Jean-Christophe Lamontagne et Justine Baillargeon), question d’accorder le plus d’entrevues pour parler de son film.

« Je vais essayer de vivre ça pleinement, je vais rencontrer les autres réalisateurs en nomination, donc j’ai très hâte. » La soirée des Oscars a lieu le 10 mars.

Invincible sera diffusé dans les prochaines semaines sur AppleTV, Unis TV et Arte.

Une nomination pour l’ONF

PHOTO MRINAL DESAI, LA PRESSE CANADIENNE

Nisha Pahuja

L’ONF fait également bonne figure en récoltant une 78nomination aux Oscars. To Kill a Tiger de Nisha Pahuja est en lice pour l’Oscar du meilleur long métrage documentaire. Le film raconte l’histoire de Ranjit, un fermier du Jharkhand, qui entreprend le combat de sa vie lorsqu’il demande justice pour sa fille de 13 ans, survivante d’une agression sexuelle.

« Je suis absolument ravie de la mise en nomination de To Kill a Tiger en vue d’un Oscar. Il s’agit là d’un honneur extraordinaire pour l’équipe de création qui a suivi ce parcours de huit ans », a déclaré Nisha Pahuja, productrice, scénariste et réalisatrice du film par voie de communiqué.

Du côté des autres nominations canadiennes, le regretté musicien torontois Robbie Robertson a été nommé pour son travail sur la musique de Killers of the Flower Moon de Martin Scorsese. Le cinéaste néo-écossais Ben Proudfoot a obtenu une nomination dans la catégorie du meilleur court métrage documentaire pour avoir coréalisé The Last Repair Shop.

Avec La Presse Canadienne