Comme des milliers de cinéphiles, je suis allé voir Oppenheimer et Barbie dans la dernière semaine. Grâce au phénomène « Barbenheimer », les salles sont pleines, leurs propriétaires sont ravis et l’industrie du cinéma s’en frotte les mains.

Tout le monde est content, sauf quelques esprits chagrins qui préfèrent un féminisme sans humour ne tournant pas en dérision l’ordre établi. Malheureusement pour les cinéphiles, les propriétaires de salles et le cinéma américain en général, le phénomène « Barbenheimer » – deux superproductions qui prennent l’affiche simultanément avec autant de succès (310 millions US de recettes combinées à leur premier week-end) – est l’exception qui confirme la règle.

L’embellie risque de ne pas durer bien longtemps. La double grève des scénaristes et acteurs hollywoodiens, déclenchée il y a deux semaines, pourrait avoir un impact majeur sur le calendrier des sorties d’automne. D’autant plus que l’ensemble des observateurs ne voient pas de résolution au conflit de travail avant plusieurs semaines.

Une superproduction comme Dune 2, dont la sortie a été décalée à novembre, pourrait de nouveau être retardée si la grève des acteurs de la Screen Actors Guild perdure. Avec une distribution aussi imposante, la promotion du film de Denis Villeneuve par ses comédiens est essentielle à son succès en salle.

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La grève des acteurs a débuté plus de deux mois après celle des scénaristes.

Or, tant que dure la grève de la SAG-AFTRA, le syndicat interdit à ses quelque 160 000 membres de promouvoir les films des studios hollywoodiens et des plateformes numériques avec lesquels il négocie un nouveau contrat de travail (notamment sur l’encadrement de l’intelligence artificielle).

Non seulement les sorties des films prévues à l’automne sont menacées, mais les grands festivals de la rentrée (Venise, Telluride, Toronto), considérés comme les principaux tremplins de la course aux Oscars, subiront aussi manifestement les contrecoups de la grève.

Le directeur artistique de la Mostra de Venise, Alberto Barbera, a eu beau minimiser mardi ses répercussions, le conflit de travail actuel pourrait avoir des effets quasi semblables à ceux de la pandémie de COVID-19 sur la 80e édition de son festival.

L’impact le plus tangible de la grève sur la Mostra est pour l’instant le retrait de son film d’ouverture, Challengers, réalisé par Luca Guadagnino (Call Me By Your Name) et mettant en vedette Zendaya.

C’est le seul long métrage que Venise a « perdu », rappelle Alberto Barbera. Sauf que le tapis rouge du festival, d’ordinaire si bien fréquenté, risque d’être plutôt dégarni.

La Mostra de Venise, qui aura lieu du 30 août au 9 septembre, a l’avantage sur son principal rival, le Festival de Cannes, d’ouvrir grand la porte de sa compétition à des films de plateformes numériques comme Netflix. Or, la grève des membres de la Screen Actors Guild est le résultat d’une dispute contractuelle non seulement avec les grands studios hollywoodiens, mais aussi avec les plateformes numériques.

Selon un accord provisoire de la SAG-AFTRA, les comédiens de films indépendants – qui ne sont pas liés à l’AMPTP (Alliance of Motion Picture and Television Producers) – pourraient profiter d’une exception à l’interdiction de promotion des œuvres. Si les grands festivals comptent beaucoup là-dessus, dans les faits, qui voudra s’en prévaloir, en donnant l’impression de se désolidariser de l’ensemble de ses camarades acteurs de cinéma ?

J’ai plutôt l’impression que si la grève se poursuit, ce qui est hautement probable, les stars brilleront par leur absence dans les festivals. Elles préféreront passer leur tour, à l’instar de Nicolas Cage qui a fait l’impasse sur le festival Fantasia à Montréal la semaine dernière.

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L’actrice Jessica Chastain lors d’un rassemblement de la SAG-AFTRA à Times Square, à New York

L’impact pourrait être encore plus grand pour le Festival de Toronto, qui se déroulera du 7 au 17 septembre, que pour la Mostra de Venise. Lundi, le TIFF a dévoilé l’essentiel des titres retenus et des vedettes attendues rue King, dont Cate Blanchett, Kate Winslet, Scarlett Johansson, Justin Timberlake, Robert De Niro, Al Pacino et Jessica Chastain.

Je serais bien étonné de voir Jessica Chastain, qui manifestait mardi avec ses confrères et consœurs de la SAG-AFTRA dans les rues de Manhattan, en septembre à Venise ou à Toronto.

Les grands festivals sont des vitrines médiatiques exceptionnelles. Peu d’acteurs voudront s’y retrouver en conférence de presse ou sur un tapis rouge, en ayant l’air de briseurs de grève, que ce soit le cas ou pas. Sauvez les apparences et vous sauvez tout, veut le dicton.

Il y aura sans doute des exceptions. À Toronto, est-ce que certains des films réalisés par des acteurs (Michael Keaton, Anna Kendrick, Viggo Mortensen, Ethan Hawke ou encore Chris Pine) seront accompagnés par les cinéastes ? Bradley Cooper, qui interprète le rôle principal du film qu’il a réalisé sur le compositeur Leonard Bernstein, sera-t-il présent au Lido de Venise ? Les réalisateurs américains, contrairement aux scénaristes et acteurs, ne sont pas en grève.

Ironiquement, ce sont les films européens – et québécois – qui pourraient le plus profiter de l’absence du star-système américain dans les grands festivals. Les jours heureux, de Chloé Robichaud, sera présenté à Toronto, tout comme Solo, le nouveau film de Sophie Dupuis, qui aura droit à une prestigieuse présentation gala. Comme quoi le malheur des uns fait le bonheur des autres.