(Venise) Priscilla de Sofia Coppola, présenté en compétition officielle au Festival de Venise lundi, est peut-être le meilleur film de la cinéaste de The Virgins Suicides depuis Lost In Translation, il y a 20 ans. Une œuvre plus cohérente, à mon sens, que Marie-Antoinette et plus marquante que Somewhere, Lion d’or en 2010.

Cette adaptation de la biographie de Priscilla Presley, Elvis and Me, parue en 1985, est une œuvre subtile et intimiste sur l’émancipation d’une femme sous le joug d’un Pygmalion depuis l’adolescence. L’histoire d’une promise éblouie par l’aura de son Roi-Soleil, puis condamnée à l’ombre par le King, qui l’enferme dans son château de Graceland.

Un récit en parfaite adéquation avec le reste de la filmographie de Sofia Coppola, à propos de jeunes femmes en quête de liberté, qui s’élève par sa maîtrise au-dessus de la mêlée des Bling Ring, Beguiled et On the Rocks.

Priscilla Beaulieu n’a que 14 ans – l’âge de Marie-Antoinette lorsqu’on l’a mariée au futur Louis XVI – et Elvis Presley, 10 ans de plus, quand ils se rencontrent en Allemagne en 1959. Elvis fait son service militaire en Bavière. Priscilla y vit avec ses parents sur une base américaine. C’est le coup de foudre. Il soigne son mal du pays auprès de cette adolescente d’Austin, au Texas. Elle est aux anges et passe ses journées à fantasmer sur son idole de jeunesse.

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Priscilla Presley sur le tapis rouge, lors de la première de Priscilla

C’est à partir de ce moment, et à travers les yeux de Priscilla Presley, que Sofia Coppola raconte cette histoire d’amour mythique que l’on qualifierait aujourd’hui de toxique.

La cinéaste épouse une approche subtile, minimaliste et impressionniste, qui fait de Priscilla l’antidote parfait au Elvis boursouflé de Baz Luhrmann, lancé au Festival de Cannes l’an dernier. On ne voit jamais Elvis en concert ou au cinéma, et on entend très peu ses chansons, à peine une version remaniée au piano de Love Me Tender.

La bande originale du film est remplie de perles anachroniques – une marque de commerce du cinéma de Sofia Coppola –, de l’interprétation de Crimson and Clover par Joan Jett à la version originale de I Will Always Love You de Dolly Parton, épousant à merveille la fin du film et de ce mariage, qui a duré de 1967 à 1973. La trame sonore, signée par Phoenix, le groupe français du mari de Sofia Coppola, Thomas Mars, est fabuleusement vaporeuse, comme du reste la direction artistique.

« Elvis et Priscilla sont un couple légendaire, mais on ne sait pas grand-chose sur elle », a déclaré Sofia Coppola à l’occasion d’une conférence de presse très courue, lundi.

Je me suis imaginée dans son histoire – moi aussi, j’ai eu le béguin pour une rock star à l’adolescence – et j’ai essayé de faire le film de son point de vue.

Sofia Coppola

À 16 ans, Priscilla Beaulieu s’installe à Graceland et finit ses études secondaires dans une école catholique de Memphis. Le fantasme de la vie de château kitsch prend rapidement des tournures de prison dorée. Priscilla est le récit d’un amour contrarié, mais aussi d’une dépendance aux amphétamines et aux somnifères qu’Elvis encourage Cilla, comme il la surnomme, à avaler.

Elvis est son confident et son mari, pas assez son amant et beaucoup trop son père. Il décide de tout, du moment où ils font l’amour jusqu’à la couleur de ses cheveux (noirs) et de ses robes (bleues). Il ne la demande pas en mariage, il lui annonce leur mariage. C’est un portrait peu flatteur d’Elvis, égoïste et manipulateur, assombri par des épisodes de violence conjugale et une tentative de viol.

Chaque fois que Priscilla reproche à son mari ses nombreuses infidélités (avec Nancy Sinatra ou Ann-Margret, notamment), il laisse planer comme une épée de Damoclès la menace de son remplacement par une épouse plus docile et indulgente. Même enceinte de leur fille Lisa Marie (disparue en janvier dernier), Priscilla encaisse les sautes d’humeur d’Elvis, qui suggère une pause dans leur mariage.

Sofia Coppola a fait le choix judicieux de confier ces rôles iconiques à des acteurs méconnus.

L’Américaine Cailee Spaeny, 25 ans, qui lui a été suggérée par son amie Kirsten Dunst, est tout à fait convaincante, à la fois dans la peau d’une adolescente enamourée de 14 ans et dans celle d’une femme émancipée de 28 ans.

L’Australien Jacob Elordi (Euphoria) ne tente pas d’imiter Elvis, comme l’a fait Austin Butler dans le film du même nom. Il est beaucoup plus grand en taille qu’Elvis, si bien que Priscilla a l’air d’une enfant à ses côtés (ce qui est sans doute volontaire). Et il dégage une énergie à la fois attendrissante et terrifiante.

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Sofia Coppola, Priscilla Presley, Cailee Spaeny, et Jacob Elordi

« C’était important qu’Elvis ne soit pas une caricature. Personne ne ressemble à Elvis. Jacob a beaucoup de charisme. Il est beau comme un cœur ! Il avait la sensibilité nécessaire pour traduire l’essence du personnage », dit Sofia Coppola, timide et jamais très loquace en conférence de presse.

« C’est très difficile de regarder un film sur soi, sur sa vie, sur son amour », a confié Priscilla Presley, émue aux larmes en parlant de ce film qu’elle a coproduit. « C’était difficile pour mes parents de comprendre pourquoi Elvis s’intéressait à moi. J’avais beaucoup d’écoute, et il me faisait confiance. Il m’a ouvert son cœur sur ses craintes, ses espoirs, la perte de sa mère. »

À ceux qui pourraient reprocher au film sa manière de dépeindre Elvis en gentleman sans arrière-pensées lorsqu’il l’a courtisée, Priscilla Presley, 78 ans, a cette réponse : « J’étais mûre pour une fille de 14 ans. Ce n’était pas une question de sexe. Il n’y en a pas eu [avant le mariage]. » Elle tient à préciser que si elle a quitté Elvis, ce n’est pas parce qu’elle ne l’aimait plus. « C’était l’amour de ma vie. Son style de vie ne me convenait pas. Je crois que n’importe quelle femme peut le comprendre. »

Priscilla doit prendre l’affiche au Québec le 27 octobre.