(Venise) La réputation de Woody Allen a été ternie ces dernières années au point où il peine à faire financer ses films aux États-Unis. Le récent documentaire de HBO Allen vs Farrow a jeté un nouvel éclairage sur les allégations d’inconduites sexuelles sur sa fille adoptive de 7 ans, Dylan Farrow, au début des années 1990.

En Europe, toutefois, l’aura du cinéaste de Manhattan et d’Annie Hall semble intacte, si l’on en juge par l’accueil triomphal qui lui a été réservé en conférence de presse, lundi à Venise. Une ovation à son arrivée, une chasse aux autographes avant son départ, et pas la moindre question sur son nouveau statut de paria : comme si la Mostra était un sas coupé du monde. Il en a, de la chance…

Woody Allen était de passage dans la Sérénissime au soutien de son 50e film en carrière à titre de réalisateur, Coup de chance, présenté hors compétition. Son premier long métrage tourné dans une autre langue que l’anglais met en vedette Lou de Laâge, Melvil Poupaud et le Franco-Québécois Niels Schneider.

« J’ai enfin senti que j’étais un cinéaste européen », a déclaré le cinéaste de Midnight in Paris, To Rome With Love et Vicky Cristina Barcelona.

J’ai vu tous les films de Truffaut, Godard, Resnais, Renoir. J’ai voulu joindre ce groupe en faisant un film en français.

Woody Allen

Coup de chance, qui rappelle à certains égards Match Point ou encore Blue Jasmine, est la meilleure proposition de Woody Allen depuis une décennie. Ses plus récents films, les très mineurs Rifkin’s Festival et A Rainy Day in New York, donnaient l’impression que l’inspiration l’avait déserté à l’arrivée du mouvement #metoo.

Sans être une grande œuvre de sa filmographie, tant s’en faut, Coup de chance est un Woody Allen de bonne tenue, autant dans sa forme, le vaudeville tirant sur le polar, que dans l’exploitation de ses thématiques récurrentes (le couple, l’infidélité, le hasard, la mort, etc.). On en sort le sourire aux lèvres, grâce à une scène finale réjouissante, en fredonnant la mélodie de Cantaloupe Island de Herbie Hancock.

Coup de chance est l’histoire d’une jeune femme, Fanny (Lou de Laâge), à l’étroit dans l’écrin de son mariage bourgeois avec un financier parisien paternaliste (Melvil Poupaud). Jean est un Gatsby au passé trouble, « délicieusement solvable », mais pas très net. Fanny rencontre par hasard un ancien camarade de classe du lycée français de New York (Niels Schneider). Alain, un écrivain bohème et sans attaches – « J’ai écrit à Bogotá, même à Montréal ! », dit-il – lui fait une cour assidue, en lui avouant qu’elle fut l’objet de tous ses désirs depuis l’adolescence.

Elle finit par céder à ses avances. Jean, qui s’en doute, embauche un détective pour dévoiler sa liaison (comme dans Baisers volés de Truffaut). Et la mère de Fanny (Valérie Lemercier), qui s’en doute aussi, se mêle à ce jeu de l’amour et du hasard typique du cinéma de Woody Allen. Les dialogues sont plus ou moins crédibles, le jeu verse parfois dans l’excès du côté du théâtre de boulevard, mais c’est habilement construit et fort amusant.

« J’ai eu de la chance toute ma vie. J’ai eu des parents aimants, de bons amis, une femme, un mariage et deux enfants formidables, a déclaré Allen, qui est le père de cinq enfants. J’aurai 88 ans dans quelques mois et je n’ai jamais séjourné à l’hôpital. Il ne m’est rien arrivé de grave. »

J’ai reçu au cours de ma vie de nombreux éloges immérités et énormément d’attention et de respect. Je n’ai eu que de la chance et j’espère que ça se poursuivra. Il est encore tôt dans l’après-midi…

Woody Allen

Je n’ai pu m’empêcher de me demander, face à cet homme frêle, au dos courbé et à la voix traînante, si Coup de chance n’est pas le chant du cygne de Woody Allen. Il a conservé sa routine des beaux jours – il rédige ses scénarios dans un calepin, au lit, avant de les retaper à la machine à écrire –, mais ne trouve plus de distributeur pour ses films en Amérique du Nord.

À un journaliste qui lui a demandé s’il réalisera un autre film dans sa ville de New York, il a eu cette réponse lucide : « Si un gars sort de l’ombre et dit qu’il financera mon film à New York en acceptant mes terribles conditions – il ne peut pas lire le scénario, il ne peut pas savoir qui en sont les acteurs, il doit simplement me donner l’argent et s’en aller… –, si un imbécile accepte tout ça, je ferai un film à New York. »

Comme on dit à Manhattan : fat chance.

PHOTO TIZIANA FABI, AGENCE FRANCE-PRESSE

Le cinéaste japonais Ryusuke Hamaguchi

Sur la route d’Hamaguchi

Le cinéaste japonais Ryusuke Hamaguchi a remporté l’an dernier l’Oscar du meilleur film international grâce au splendide Drive My Car. On reconnaît la signature du brillant cinéaste de Conte du hasard et autres fantaisies dès la magnifique première scène de son nouveau film, Evil Does Not Exist, présenté en compétition officielle lundi à la Mostra de Venise.

On contemple les cimes des arbres, dans un travelling en contre-plongée, au son de la très jolie musique de la compositrice Eiko Ishibashi. Puis on découvre le personnage de Takumi (Hitoshi Omika), qui bûche du bois longuement dans la forêt. Hamaguchi est un cinéaste qui aime prendre son temps. Aussi, son nouveau film, élégant, contemplatif, vaporeux, n’est pas encombré d’une multitude de revirements.

PHOTO GABRIEL BOUYS, AGENCE FRANCE-PRESSE

Eiko Ishibashi et Ryusuke Hamaguchi

Evil Does Not Exist est le contraire d’un film d’action hollywoodien. Il raconte une tranche de vie de Takumi, père oublieux d’une fillette de 8 ans, qui vit à la campagne, en phase avec la nature.

Sa quiétude est bousculée, comme celle de ses concitoyens, par une entreprise tokyoïte qui compte installer un site de glamping (camping de luxe) dans « sa » forêt.

Une réunion d’information sur le projet ne réussit pas à calmer la grogne des citoyens, qui craignent notamment la contamination de l’eau de source provenant de la montagne. L’entreprise insiste, tente de rallier Takumi au projet en lui offrant un emploi, mais le drame guette…

Inspiré d’abord par la musique d’Eiko Ishibashi pour l’ambiance de son film, puis par un fait divers pour son scénario, Ryusuke Hamaguchi propose un nouveau film poétique et sensible sur l’incommunicabilité et l’importance du dialogue, ainsi qu’il l’a évoqué lundi en conférence de presse.

Dans le sillon de Drive My Car, sans être aussi abouti, Evil Does Not Exist aborde – souvent en voiture – plusieurs thèmes semblables, avec autant de mélancolie et de sens dramatique. Qu’est-ce qui pousse l’homme à être un loup pour l’homme ? semble demander Hamaguchi dans cette œuvre prégnante et délicate, dont la conclusion reste ouverte à toutes les interprétations.