Le majestueux western de Martin Scorsese, Killers of the Flower Moon (La note américaine), à l’affiche ce vendredi, dure près de trois heures et demie. La durée de la plus récente Palme d’or, l’excellent Anatomie d’une chute de Justine Triet, en salle la semaine prochaine, est de plus de deux heures et demie.

L’un des plus grands succès cinématographiques de l’été, Oppenheimer de Christopher Nolan, avait une durée de trois heures. Le très attendu Napoleon de Ridley Scott fait 158 minutes et sa version longue, qui sera diffusée sur la plateforme Apple TV+ après sa sortie au cinéma le 22 novembre… sera de plus de quatre heures.

Est-ce que les films sont plus longs ? Oui. Sont-ils trop longs ? Non.

Depuis l’avènement du long métrage, il y a 110 ans, il y a toujours eu de longs films. Bien des péplums des années 1950 et 1960 duraient trois heures et nécessitaient une pause afin de changer les bobines. Ben-Hur (1959), de William Wyler, s’étalait sur 214 minutes.

Les trois plus grands succès populaires de l’histoire du cinéma hollywoodien, en dollars constants, sont Autant en emporte le vent (1939), 221 minutes, Avatar (2009), 162 minutes, et Titanic (1997), 195 minutes.

Des longueurs qui permettent de déboulonner quelques mythes. Celui selon lequel le public préfère les films courts, qui ne résiste pas aux données statistiques. Et celui, plus récent, selon lequel la Tiktokisation des contenus vidéo, de plus en plus brefs, met en péril la capacité d’attention du public, et en particulier du jeune public, pour le cinéma. Bien des abonnés de TikTok sont allés voir Avengers : End Game (2019), malgré ses 181 minutes.

La tendance aux films longs est particulièrement forte, cela dit, depuis 2018, selon un reportage du plus récent numéro du magazine The Economist. L’hebdomadaire anglais a analysé quelque 100 000 longs métrages qui ont pris l’affiche à l’échelle internationale depuis les années 1930, en s’appuyant sur les données de l’Internet Movie Database (IMDb).

PHOTO MELINDA SUE GORDON, ASSOCIATED PRESS

Cillian Murphy dans Oppenheimer, drame de trois heures de Christopher Nolan sorti en 2023

Il en a conclu que la longueur moyenne des films avait augmenté d’environ 24 %, de 1 heure 21 minutes dans les années 1930 à 1 heure 47 minutes en 2022. La longueur moyenne des 10 films les plus populaires de l’année, toujours selon IMDb, a quant à elle progressé de presque 50 % depuis les années 1930, jusqu’à environ 2 heures 30 min en 2022.

Les superproductions, notamment l’avalanche de films de superhéros des dernières années, sont bien sûr au cœur du phénomène. Le plus récent James Bond, No Time to Die (2021), est le plus long film de la série, à 163 minutes. La suite d’Avatar, The Way of The Water (2022), s’éternisait à 192 minutes. Évidemment, il n’y a pas que les superproductions qui sont longues. Les récents Babylon de Damien Chazelle et Beau Is Afraid d’Ari Aster duraient respectivement 189 et 179 minutes.

Pourquoi les films sont-ils plus longs ? Bien des observateurs estiment qu’afin d’attirer des spectateurs en salle, loin du confort de leur salon, il faut que le cinéma se distingue des séries télé, avec davantage de scènes spectaculaires.

L’ironie, c’est que plus le cinéma fait long et tente d’« élargir les récits », en étoffant les personnages et les intrigues secondaires, plus il se rapproche de la série télé.

Le prix d’un billet de cinéma équivaut grosso modo à celui d’un abonnement mensuel à une plateforme numérique. La logique marchande dicte que les producteurs de films en donnent davantage au client pour son argent. Or, un autre paradoxe, c’est que le coût d’un billet de film de 3 heures est généralement le même que celui d’un film de 90 minutes. Alors que les propriétaires de salle peuvent projeter moins de films dans une journée.

Il y a bien sûr un réel plaisir à voir un film de 90 minutes sans la moindre longueur. Vampire humaniste cherche suicidaire consentant, de la Québécoise Ariane Louis-Seize, se boucle en 91 réjouissantes minutes. Vers un avenir radieux, le plus récent film de Nanni Moretti, ne dure que 1 heure 35 minutes. Il y a bien des films, il est vrai, qui ne méritent pas de durer plus longtemps. Trop de cinéastes se complaisent dans des scènes inutiles qu’ils auraient dû couper au montage. La concision est aussi ce qui fait le charme du cinéma.

Il reste que si on peut endurer qu’une série médiocre comme Tapie sur Netflix étire la sauce du parcours de vie d’un peddler sur sept épisodes d’une heure, on peut « faire l’effort » de découvrir une œuvre telle Killers of the Flower Moon, de 206 minutes, certes, mais qui dévoile un pan fascinant de l’histoire des Premières Nations aux États-Unis.

Il y a une certaine forme d’hypocrisie à déclarer qu’un film de plus de deux heures est « trop long », alors qu’on télévore tous les week-ends quantité d’épisodes de séries. Bien sûr que chez soi, on peut en tout temps décréter une pause pour aller aux toilettes ou se faire une tisane. Ce n’est pas comme faire partie du « public captif » d’une salle de cinéma. Il reste qu’il n’y a pas un plus bel endroit que le cinéma, de lieu mieux adapté, pour voir le nouveau film de Martin Scorsese.

La beauté de la chose, c’est qu’on peut revoir La maman et la putain de Jean Eustache, 3 heures 40 minutes, puis découvrir la série de Netflix sur David Beckham, 285 minutes, à quelques semaines d’intervalle, enfiler trois épisodes de La candidate (129 minutes) et regarder une Palme d’or, 152 minutes, deux jours plus tard. Le tout avec beaucoup de plaisir. C’est possible, tout en profitant du beau temps. Je vous le confirme.