Greta Gerwig est une formidable actrice, scénariste et réalisatrice. Ses trois premiers longs métrages – Lady Bird, Little Women et Barbie – ont tous été finalistes à l’Oscar du meilleur film. Un exploit. Elle a été elle-même finaliste quatre fois aux Oscars, pour les scénarios (originaux ou adaptés) de tous ses films, et pour la réalisation de Lady Bird.

Je suis un admirateur de la première heure de cette artiste que l’on peut qualifier de pionnière, malgré ses 40 ans. Elle compte parmi seulement huit femmes sélectionnées dans la prestigieuse catégorie de la meilleure réalisation, en 95 ans d’existence des Academy Awards.

Elle était inoubliable dans le rôle-titre de Frances Ha, charmant film réalisé par son compagnon Noah Baumbach qu’elle a coscénarisé avec lui (à l’instar de Barbie). Elle vénère le magistral Beau travail de Claire Denis et deviendra en mai la 12e femme en 77 éditions du Festival de Cannes à présider le jury de la compétition officielle.

Grâce à Greta Gerwig et à Margot Robbie, une actrice d’exception qui est aussi productrice, Barbie a relancé l’intérêt post-pandémique pour le cinéma en salle auprès d’un très large public.

Cette réjouissante comédie acidulée a accumulé quelque 1,4 milliard de dollars américains au box-office mondial. Ce qui en fait le film le plus populaire de l’année dernière… mais pas pour autant l’un des cinq meilleurs films de 2023.

Barbie a été cité huit fois en prévision de la 74e Soirée des Oscars, notamment pour le scénario de Gerwig et Baumbach (bizarrement considéré comme une adaptation) et dans la catégorie du meilleur film. Ce n’est pas rien. Pourtant, depuis l’annonce des finalistes, ils sont nombreux – jusqu’à l’ex-candidate à la présidence des États-Unis Hilary Clinton – à déplorer publiquement que Greta Gerwig et Margot Robbie n’aient pas été retenues respectivement parmi les candidats à l’Oscar de la meilleure réalisation et de la meilleure actrice. Un peu plus et on parlerait de Barbiegate…

Si à une autre époque, on pouvait interpréter comme un camouflet le fait qu’un cinéaste dont le film se trouvait parmi les cinq finalistes à l’Oscar du meilleur film ne soit pas finaliste dans la catégorie de la meilleure réalisation, ce n’est plus le cas depuis que l’on a élargi la catégorie à dix films, il y a 15 ans. Il n’est pas nécessaire d’avoir fait des études postdoctorales en mathématiques avancées pour comprendre qu’au moins un cinéaste sur deux se retrouve dans cette situation chaque année.

PHOTO CHRIS PIZZELLO, ARCHIVES ASSOCIATED PRESS

Greta Gerwig recevant un prix au Palm Springs International Film Festival, au début de l’année.

Il s’agit cette fois, oui, de Greta Gerwig, mais aussi de Cord Jefferson (pour American Fiction), d’Alexander Payne (pour The Holdovers), de Bradley Cooper (pour Maestro) et de Celine Song (pour Past Lives). Y a-t-il un des cinq cinéastes retenus dans la catégorie de la meilleure réalisation qui mérite moins d’y être que Greta Gerwig ? Martin Scorsese ? Christopher Nolan ? Yórgos Lánthimos ? Jonathan Glazer ? Justine Triet ?

Les quelque 600 réalisateurs qui ont choisi les finalistes ne le croient pas. Et quiconque a vu tous les films finalistes à l’Oscar du meilleur film (j’en suis) aurait bien de la difficulté à les contredire. D’ailleurs, s’ils étaient allergiques à la comédie, comme certains le prétendent, ils n’auraient pas plébiscité Yórgos Lánthimos pour Poor Things, une autre satire féministe campée dans un décor fantasmagorique coloré…

Pourquoi tant de gens sont-ils montés au créneau pour dénoncer la prétendue « injustice » subie par Greta Gerwig ? En partie parce qu’il s’agit d’une femme et qu’elles sont historiquement rares à concourir pour l’Oscar de la meilleure réalisation.

Il n’y a eu que trois lauréates en près d’un siècle : Kathryn Bigelow (pour The Hurt Locker en 2010), Chloé Zhao (pour Nomadland en 2021) et Jane Campion (pour The Power of the Dog en 2022).

S’il y a un tel ressac depuis mardi, c’est surtout parce que certains semblent confondre succès populaire et chef-d’œuvre cinématographique. Barbie, une comédie irrévérencieuse et pertinente, a brassé la cage du patriarcat. Or dans toute cette pseudopolémique, le patriarcat a bon dos. Je ne prétends pas que le sexisme ni les préjugés inconscients en faveur de films réalisés par des hommes n’existent pas à Hollywood. Il serait ridicule de nier les faits. Les trois quarts des réalisateurs qui votent aux Oscars sont des hommes. Mais est-ce possible que le sexisme n’explique pas à lui seul la non-sélection de Greta Gerwig dans la catégorie de la meilleure réalisation ?

S’il y a une autre femme qui aurait pu se retrouver dans cette catégorie, c’est Celine Song. Et je ne dis pas ça parce qu’elle a grandi à Toronto. Mon chauvinisme canadien est aussi inexistant que le périnée de Ken. Past Lives, le tout premier film de Celine Song, est remarquable de subtilité et d’élégance. Mais comme il a été peu vu, il ne soulève pas les passions comme le phénomène culturel mondial qu’est Barbie.

Le sexisme n’explique certainement pas l’exclusion de Margot Robbie, déjà nommée deux fois dans les catégories d’interprétation aux Oscars (pour I, Tonya et Bombshell), parmi les finalistes de la meilleure actrice. L’Oscar sera de toute évidence remis à Lily Gladstone (Killers of the Flower Moon) ou à Emma Stone (Poor Things), toutes deux remarquables. À qui Margot Robbie aurait-elle dû être préférée ? Certainement pas à Carey Mulligan, exceptionnelle dans Maestro, ni à Sandra Hüller, qui porte sur ses épaules le meilleur film de l’année, Anatomie d’une chute. Peut-être à Annette Bening dans Nyad ? On aurait crié à l’âgisme…

Peut-être qu’en effet, « il n’y a pas de Ken sans Barbie » ni « de film Barbie sans Greta Gerwig et Margot Robbie », comme l’a regretté Ryan Gosling sur les réseaux sociaux, en se désolant que ses consœurs aient été écartées des catégories de la réalisation et de la meilleure actrice. Il reste que LA performance d’acteur de Barbie est celle de Gosling. Ce qui ne veut pas dire qu’il mérite pour autant l’Oscar du meilleur acteur de soutien, pas plus que Barbie ne mérite l’Oscar du meilleur film. Il ne faudrait pas charrier. Les Oscars, heureusement, ne sont pas un concours de popularité.