(Berlin) Cillian Murphy est le meilleur acteur de sa génération, selon Christopher Nolan, qui l’a dirigé dans Oppenheimer. Le cinéaste de Tenet et de Dunkirk ne doit pas être le seul à le penser. L’acteur irlandais est quasi assuré d’obtenir l’Oscar du meilleur acteur, le 10 mars, pour son rôle d’inventeur de la bombe atomique, J. Robert Oppenheimer. Ce sera bien mérité. Murphy incarne avec une intériorité remarquable et une intensité subtile ce scientifique rongé par les scrupules.

Dans Small Things Like These, film d’ouverture de la 74e Berlinale, Cillian Murphy interprète de nouveau un personnage torturé et taciturne tiraillé par un cas de conscience. En plus d’y tenir le rôle principal, l’acteur est l’un des producteurs de ce long métrage du Belge Tim Mielants (Wil), présenté parmi les 20 films en compétition officielle. Les deux hommes se sont connus sur le plateau de la série à succès Peaky Blinders.

« Je cherchais un projet de film sur lequel nous pourrions travailler ensemble. C’est ma femme [l’artiste Yvonne McGuinness] qui m’a suggéré d’adapter le livre de Claire Keegan, que j’avais lu. J’ai été ravi d’apprendre que ses droits d’adaptation n’avaient pas été achetés », a expliqué jeudi Cillian Murphy en conférence de presse.

Le livre éponyme de Claire Keegan, finaliste au Booker Prize en 2022, évoque le scandale du mauvais traitement des mères célibataires par l’Église catholique irlandaise. Quelque 9000 enfants seraient morts dans des « maisons mère-enfant » d’Irlande et 10 000 mères célibataires ont été enfermées contre leur gré dans ces fameux couvents de la Madeleine (qui ont existé au Canada aussi), du début des années 1920 à la fin des années 1990. Les enfants étaient pour la plupart donnés en adoption. Les mères, répudiées par leurs familles, étaient exploitées par l’Église.

« C’est un traumatisme collectif auquel nous faisons face, explique Cillian Murphy. Je crois que l’art peut être un baume pour ce genre de plaie. Il semble que tout le monde ait lu ce livre en Irlande. »

Ce qui est ironique dans le livre, c’est qu’il s’agit d’un chrétien qui veut faire un geste chrétien dans une société chrétienne dysfonctionnelle. On y aborde toutes sortes de questions sur la complicité, le silence, la honte. Je ne crois pas que l’art a un devoir de répondre à ces questions, mais de les provoquer.

Cillian Murphy

Récit poignant

Cillian Murphy incarne William Furlong, père de quatre filles et propriétaire d’une petite entreprise de livraison de charbon. Il trime pour que sa famille ne manque de rien à l’approche du temps des Fêtes, au milieu des années 1980. Un jour, alors qu’il livre des sacs de charbon au couvent du village, il y est interpellé par une jeune femme en détresse qui le supplie de l’aider. Elle sème en lui le doute et la honte de ne pas dénoncer ce qu’il sait.

Emily Watson est glaciale, quoiqu’un peu caricaturale, dans le rôle d’une mère supérieure à la poigne de fer, que l’on devine tyrannique et intransigeante malgré sa miséricorde de façade. Elle accueille au couvent ces mères célibataires qui deviennent en quelque sorte ses esclaves : blanchisseuses, cuisinières, femmes de ménage sans liberté.

PHOTO ANNEGRET HILSE, REUTERS

Cillian Murphy et Emily Watson

Les proches de William, à commencer par sa femme (Eileen Walsh), le mettent en garde : s’il devait souffler mot de ce qu’il a découvert, on le lui ferait payer cher. « Tu as le cœur trop sensible », lui dit-elle, en lui rappelant que se mêler des affaires de l’Église ne peut rien apporter de bon à sa famille (ses filles étudient à l’école tenue par les mêmes sœurs du Bon Pasteur).

Si Small Things Like These ne se démarque pas par l’originalité de sa réalisation, c’est un récit poignant sur le silence complice de toute une société face aux hypocrisies de l’Église catholique. Sur cette complaisance qui s’achète et se monnaie, mais à quel prix ? Un film sur le courage et la lâcheté, sur l’humanité, avec une métaphore un peu insistante sur les mains sales.

L’essentiel reste davantage suggéré qu’expliqué, même si l’on finit par comprendre, grâce à des allers-retours entre le présent et un passé traumatique, l’inquiétude qui habite en permanence ce William énigmatique et quasi mutique. Cillian Murphy, de la plupart des plans, insuffle à ce film somme toute classique une profondeur d’âme qui se lit dans chaque expression de son visage mélancolique.

« Je vous ai trouvé encore meilleur que dans Oppenheimer. Prenez-le comme un compliment ! », lui a dit en toute franchise (et non sans maladresse) un journaliste en conférence de presse. Il a ri poliment. Je ne sais pas si Cillian Murphy est le meilleur acteur de sa génération, mais une chose est sûre, c’est un sacré bon comédien.

Les frais d’hébergement ont été payés par la Berlinale et Téléfilm Canada.