Salman Rushdie a remporté le Booker Prize, en 1981, grâce à Midnight's Children. Son deuxième roman, une fable fantastique animée par des enfants nés au moment de l'indépendance de l'Inde en 1947, a été adapté au cinéma par l'écrivain lui-même et réalisé par la Canadienne Deepa Metha. Quelque 600 pages et 60 ans d'histoire pour un film de près de deux heures trente.

J'ai rencontré Salman Rushdie à l'occasion de son passage au Festival international du film de Toronto, en septembre. C'est dans le cadre de ce même festival, il y a quatre ans, que Deepa Metha avait obtenu pour 1$ de l'auteur des Versets sataniques la permission de porter Midnight's Children à l'écran.

Q: Qu'avez-vous pensé de son idée?

R: Je réagis beaucoup à la passion que dégagent les gens. Sa passion pour le projet était palpable. Je me suis dit qu'elle était sans doute la bonne personne pour le faire.

Q: C'est pourtant un de ces romans dont on dit qu'ils sont «impossibles à adapter»...

R: C'est vrai. Mais je crois qu'elle et moi sommes le genre de personnes qui voient comme un défi le fait de se faire dire «c'est impossible»! Et qui veulent absolument faire la preuve du contraire (rires).

Q: L'idée d'adapter vous-même le roman ne s'est pas imposée d'emblée...

R: Honnêtement, au départ, je ne voulais pas le faire. Je me disais que j'avais déjà écrit le roman. Deepa a dû me convaincre de le faire. Et je suis heureux de l'avoir fait. Au final, si tu vends les droits d'adaptation de ton livre, tu devrais soit t'en occuper toi-même, de tout ton coeur, soit prendre le chèque, dire merci et revoir le cinéaste à la première. Comme c'était mon premier roman à être porté à l'écran, je pensais que je devrais m'investir dans son adaptation.

Q: L'idée de revisiter un roman que vous aviez écrit au début de votre carrière a-t-elle contribué à vous convaincre?

R: Je pense que c'est le fait que je l'ai écrit il y a si longtemps qui a permis que j'en fasse l'adaptation. Si c'était un roman que je venais d'écrire, je n'aurais pas eu la distance nécessaire.

Q: Quels ont été les plus grands défis de l'adaptation?

R: Le roman fait plus de 600 pages. Le scénario en fait 120. Voilà le défi (rires). Dans le roman, la famille du Dr Aziz a cinq enfants. Dans le film, il n'y a plus que trois enfants. Parce qu'il y avait trop d'histoires à raconter. Des passages du roman que j'adore ne se retrouvent pas dans le film, qui traite moins de l'enfance de Salim que le livre. Il y a bien des scènes que j'aurais souhaité incorporer. Ce n'était pas possible.

Q: Dans quelle mesure vous êtes-vous investi dans la création du film?

R: Je me suis investi du début à la fin. J'ai participé à la sélection des acteurs avec Deepa, dans une chambre d'hôtel de Bombay. Je suis heureux d'avoir vécu cette expérience. D'avoir reconnu mes personnages dans le visage de certains acteurs. Ça m'a rassuré.

Q: Cela diminuait les risques que vous ayez des regrets par la suite...

R: Je ne voulais pas avoir à assister à la première sans reconnaître mon roman et devoir faire semblant d'avoir apprécié le film.

Q: Il y a beaucoup de compromis liés à l'adaptation d'un roman à l'écran. Avez-vous quand même apprécié l'expérience?

R: C'était aussi très créatif. Pour moi, c'était très intéressant, après toutes ces années, de tenter de trouver le coeur de ce livre. Une fois que l'on a trouvé ce coeur en élaguant énormément le scénario, l'acte de filmer ajoute plusieurs couches. Celles des acteurs, du directeur photo, du compositeur, de la réalisatrice, bien sûr. Tous ces éléments enrichissent le récit, qui a été réduit à son essence dans le scénario. Comme j'ai toujours été intéressé par le cinéma - je suis même un cinéphile un peu nerd qui adore les jeux-questionnaires sur le cinéma -, ce fut formidable de voir un film prendre vie.

Q: Toutes les difficultés liées à l'adaptation, le financement entre autres, vous ont-elles convaincu de ne plus retenter l'expérience?

R: Honnêtement, je ne suis pas très pressé de le refaire (rires). Mais ça pourrait changer si quelqu'un me proposait un projet irrésistible. Je travaille en ce moment au scénario d'une télésérie américaine (pour Showtime). On n'en est qu'aux balbutiements, mais, avec de la chance, le réseau va apprécier l'émission-pilote et on va pouvoir poursuivre l'expérience. Ce que j'aime de la télésérie, c'est qu'il s'agit d'un vrai médium de scénariste. Ce que n'est pas le cinéma. Surtout le cinéma hollywoodien, qui devient de moins en moins intéressant dans son obsession de faire des films de superhéros destinés à des enfants de 12 ans...

Midnight's Children prend l'affiche le 9 novembre.