S'attaquant au projet le plus ambitieux de sa carrière, Emilio Estevez propose ici un film choral «à la Altman» dans lequel convergent les destins de 22 personnages fictifs, le jour où Robert F. Kennedy est assassiné.

Ces individus - organisateurs politiques, artistes, employés - se retrouvent tous à l'hôtel Ambassador de Los Angeles en ce 5 juin 1968, jour où le Sénateur s'apprête à remporter l'élection primaire de l'État de la Californie pour le parti démocrate, consolidant ainsi sa position en vue de décrocher la candidature pour la prochaine élection présidentielle.

Ce qui surprend d'abord, c'est de constater à quel point Bobby n'est pas un film biographique à proprement parler. Les questions politiques sont plutôt évoquées à travers les conversations à bâtons rompus que tiennent les différents personnages entre eux, évoquant au passage les préoccupations de l'époque : la guerre au Vietnam, l'équité sociale, le racisme, la naissance du féminisme, etc.

C'est d'ailleurs dans la reconstitution des années 60 qu'Estevez marque ses meilleurs points. Le bouillonnement social est fort bien traduit, sans que l'auteur cinéaste n'ait jamais rien à souligner à gros traits pour établir les liens évidents entre les préoccupations de l'époque et celles d'aujourd'hui.

Cela dit, on ne pourra faire autrement que de trouver ce récit beaucoup trop anecdotique par moments. L'auteur cinéaste semble avoir eu du mal à trouver l'équilibre entre les (trop) nombreux personnages auxquels il s'attarde. Il en résulte une impression de trop grande superficialité, d'autant plus évidente qu'Estevez accorde aussi beaucoup d'importance à certaines histoires, uniquement dans le but d'offrir des moments de divertissement. Le trip de LSD de deux jeunes partisans de Kennedy est assez révélateur à cet égard.

Le dernier acte est aussi un peu précipité, Estevez ayant probablement eu le sentiment qu'il fallait alors entrer enfin dans le vif du sujet. Son choix de terminer son film avec le long discours qu'a prononcé Kennedy peu de temps après la mort de Martin Luther King est aussi discutable. Bien que très inspirée, cette (très) longue allocution apparaîtra trop appuyée dans les circonstances, donnant au récit un aspect prêchi-prêcha qu'il n'avait pas jusque-là.

On saluera quand même l'habileté avec laquelle Estevez insère le réel (les scènes d'archives sont judicieusement choisies) dans son récit fictif. On prendra aussi un plaisir certain à regarder les excellents acteurs se transporter à une autre époque. Si tous les personnages sont dans l'ensemble défendus avec beaucoup de conviction, retenons quand même les prestations formidables de Sharon Stone (presque méconnaissable dans le rôle d'une coiffeuse) et de Demi Moore. Cette dernière, convaincante dans le rôle d'une chanteuse sur le retour aux prises avec un grave problème d'alcoolisme, n'avait pas eu l'occasion de se démarquer de la sorte depuis un bon moment. On pourrait en dire autant de Christian Slater, solide dans le rôle du gérant de l'hôtel dont les paroles et les actions sentent le racisme à plein nez.

Estevez pourra se vanter d'avoir transporté le spectateur à une époque où l'on se posait aussi beaucoup de questions existentielles à propos de l'Amérique. La manière adoptée ici est divertissante, certes, mais il n'est pas dit qu'elle ait l'impact voulu.

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* * 1/2

BOBBY, drame réalisé par Emilio Estevez. Avec Anthony Hopkins, William H. Macy, Sharon Stone, Demi Moore.

Le 5 juin 1968, les destins de plusieurs individus se croisent à l'hôtel Ambassador de Los Angeles, lieu de rassemblement des partisans de Robert F. Kennedy.

Un film ambitieux dont le récit reste beaucoup trop anecdotique.