Tandis qu’elle erre dans les pièces d’un édifice abandonné, une jeune femme s’interroge sur notre rapport au temps et à l’espace ainsi que sur le sens de l’existence.

« Je suis comme dans un suspense très, très lent, comme s’il n’y a rien qui bouge et rien qui m’annonce la suite », déclare à un interlocuteur anonyme à l’autre bout du fil Larissa Corriveau, qui n’apparaît qu’après huit minutes de plans fixes de pièces vides ou désordonnées d’un édifice abandonné. Le visage grave, le regard inquisiteur, l’actrice que Denis Côté a dirigée dans Répertoire des villes disparues, Hygiène sociale et Un été comme ça hante de son énigmatique présence ce parfait hybride hypnotique entre la fiction, le documentaire et l’essai qu’est Mademoiselle Kenopsia.

Pour tuer le temps, la gardienne, ou captive, des lieux se livre à des réflexions sur notre rapport au temps et à l’espace, sur l’urgence de vivre et sur le sens de l’existence. Lui rendent visite une inconnue (Evelyne de la Chenelière, qui signe le magnifique monologue d’une dizaine de minutes sur l’Éternité), le concierge (Olivier Aubin, avec qui Larissa Corriveau se livre à un étonnant pas de deux immobile sur l’envoûtante chanson Possédée de Potochkine) et l’intendante (Hinde Rabbaj).

Fort des cadrages précis et des mouvements de caméra quasi subliminaux du directeur photo Vincent Biron, ainsi que de la riche conception sonore de Terence Chotard, Mademoiselle Kenopsia exerce d’emblée une fascination teintée d’angoisse. S’ajoutent à mi-parcours des projections 16 mm de l’artiste visuel Philippe Léonard, lesquelles contribuent à non seulement maintenir la sensation d’inquiétante étrangeté que provoque chaque image, mais aussi à donner à l’ensemble une dimension fantastique, onirique.

Depuis le début de sa prolifique carrière, Denis Côté, ex-critique de cinéma biberonné aux films d’horreur, tourne des films pour les cinéphiles avertis. Comprendre pour ceux qui ne craignent pas de se laisser bousculer par des propositions aux antipodes des productions formatées et réconfortantes. S’il semblait se ficher souverainement des spectateurs avec ses premiers courts métrages, le réalisateur a depuis démontré un désir de les convier à s’amuser avec lui dans ses explorations formelles.

Sa nouvelle offrande, Mademoiselle Kenopsia, tournée pour la modique somme de 10 000 $ dans deux monastères, l’un à Saint-Hyacinthe, l’autre à Pierrefonds, et dans l’ancien hôpital Royal Victoria, en est un fort bel exemple. Évoquant le roman de Kevin Lambert Que ta joie demeure, réflexion sur notre rapport au travail, cette œuvre, qui marque la fin d’un cycle dans le parcours de Denis Côté, flirte avec le genre, la légèreté et l’humour. Ce qui ne l’empêche pas d’être traversée par une sincère émotion et une réelle profondeur.

En salle

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Mademoiselle Kenopsia

Drame

Mademoiselle Kenopsia

Denis Côté

Larissa Corriveau, Evelyne De la Chenelière, Olivier Aubin

1 h 20

7,5/10