La Cocina, du réalisateur mexicain Alonso Ruizpalacios, présenté vendredi en compétition à Berlin, est une proposition paradoxale. C’est à la fois un film inventif mais poseur, original mais prétentieux, singulier mais irritant, qui s’inscrit dans notre esprit, mais pas que pour les bonnes raisons.

À la fois inoubliable – pour un plan séquence d’anthologie en cuisine et en salle – et insupportable. Ruizpalacios commence par citer Henry David Thoreau et multiplie dans la bouche de ses personnages des théories vaseuses et de la philosophie de comptoir. Il tourne en noir et blanc un film indépendant verbeux qui n’est pas sans charme, qui m’a fait penser vaguement à Clerks, de Kevin Smith.

Rooney Mara est égale à elle-même dans le rôle de Julia, serveuse indolente d’un restaurant attrape-touristes de Times Square à New York. Le film s’articule surtout autour du personnage de Pedro (Raúl Briones), attachant et détestable, qui est amoureux de Julia. C’est un cuisinier talentueux mais irascible. Une bombe à retardement. Quand Pedro pète les plombs, c’est spectaculaire. Pensez aux Nouveaux sauvages, de Damián Szifrón.

Sans papiers comme l’ensemble des employés de cuisine, Pedro est soupçonné par un gérant sans envergure d’être responsable de la disparition de 870 $ dans la caisse de la veille.

La Cocina, comme son titre le laisse deviner, table sur l’intensité brute du travail en cuisine, comme Le plongeur, de Francis Leclerc, ou l’excellente série The Bear.

C’est aussi un film qui plonge dans le ventre du dragon des sous-sols des restaurants new-yorkais, où le cinéma s’aventure rarement. On y parle l’espagnol, l’arabe, le français ou le wolof et se traite de tous les noms, partageant la même petite misère et les mêmes conditions de travail minables. C’est là que le film de Ruizpalacios, Prix du meilleur premier film pour Güeros à la Berlinale il y a 10 ans, est le plus intéressant : dans sa métaphore de l’esclavage du capitalisme sauvage.

Le Petit Prince l’a dit

Le comédien Sebastian Stan a rabroué un journaliste bulgare en conférence de presse vendredi. Le collègue venait d’utiliser le mot « monstre » en parlant du personnage défiguré que Stan incarne dans A Different Man, film de la compétition écrit et réalisé par l’Américain Aaron Schimberg. « L’une des choses que dit le film, c’est que nous avons des préjugés, a-t-il déclaré. Nous ne sommes pas bien informés sur la façon de comprendre cette expérience en particulier ni d’en parler. »

PHOTO FOURNIE PAR LE FESTIVAL INTERNATIONAL DU FILM DE BERLIN

Sebastian Stan, Renate Reinsve et Adam Pearson dans A Different Man.

A Different Man, dont la première mondiale a eu lieu au Festival de Sundance (on n’est pas surpris), est l’histoire d’un homme lourdement handicapé qui subit une intervention chirurgicale expérimentale de reconstruction d’un visage et dont la vie est chamboulée, pour le meilleur et pour le pire. Sebastian Stan interprète cet Edward, aspirant acteur, avec et sans prothèse.

Adam Pearson, un acteur britannique atteint de neurofibromatose, joue Oswald, ami et rival d’Edward. Ils se disputeront notamment Ingrid (Renate Reinsve), une dramaturge qui s’approprie le récit d’Edward pour monter une pièce sur un personnage défiguré.

« Je m’intéresse aux questions éthiques de la représentation, mais je voulais surtout faire un film personnel, a expliqué Aaron Schimberg, lui-même né avec une fente labio-palatine, en conférence de presse. Si on fait jouer le personnage avec une prothèse par un acteur qui n’a pas de handicap, on est accusé de faire de l’appropriation. Et si on choisit un acteur handicapé, on est taxé d’exploitation. C’est perdant-perdant. J’ai choisi de faire les deux. »

Le cinéaste new-yorkais, qui s’était déjà intéressé à ce sujet dans son film Chained for Life, a concocté un film surréaliste qui multiplie les mises en abyme et les ellipses, sans jamais trouver de réel équilibre de ton entre le drame social, le thriller psychologique, le body horror et la comédie indépendante décalée de série B. Il y a une morale un peu poussive à la clé : on ne voit bien qu’avec le cœur, l’essentiel est invisible pour les yeux. Mais ça, le Petit Prince nous l’avait déjà dit.

Les frais d’hébergement ont été payés par la Berlinale et Téléfilm Canada.