Même si elles n’avaient parfois aucune idée de ce que les réalisateurs étaient en train de faire, Michelle Yeoh et Jamie Lee Curtis ont mis leur talent au service de l’univers foisonnant et complètement délirant de Dan Kwan et Daniel Scheinert, surnommés The Daniels. Les actrices ne l’ont pas regretté.

Evelyn Wang, immigrée chinoise installée aux États-Unis depuis longtemps, soutient sa famille en dirigeant une modeste buanderie. Cette antihéroïne est un jour convoquée au bureau de l’Internal Revenue Service, équivalent américain de notre agence du revenu, pour répondre d’irrégularités. Qui aurait cru qu’un point de départ aussi banal puisse inspirer une histoire parfaitement déjantée, où tous ces personnages « ordinaires » ont plusieurs alter ego, et où des univers parallèles s’entrechoquent avec jubilation pendant plus de deux heures ?

C’est pourtant ce qu’ont réussi à faire Dan Kwan et Daniel Scheinert. Six ans après Swiss Army Man, dans lequel Daniel Radcliffe incarnait un mort-vivant aux flatulences très puissantes, « les Daniel » rappliquent avec Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois en version française). Deux ans après la fin du tournage, leur deuxième long métrage a été récemment mis au monde – enfin ! – à la soirée d’ouverture du festival South by Southwest.

« Leur scénario était tellement original, étrange et farfelu que j’ai tout de suite voulu savoir ce que ces deux gars avaient fait avant, indique Michelle Yeoh lors d’une entrevue en visioconférence accordée à La Presse, à laquelle a également participé Jamie Lee Curtis. Swiss Army Man m’a donné une petite idée de leur mode de pensée. J’ai ensuite sollicité une rencontre avec eux parce que je voulais juger par moi-même si ces gars étaient des fous qui devraient être internés ou s’ils étaient de véritables génies. Il suffit de passer quelques minutes avec eux pour se faire très vite une idée. Ils sont fous, oui, mais de façon géniale ! »

Personnages réels

Celle qui fut révélée au public occidental grâce à Tomorrow Never Dies, un James Bond de l’ère Pierce Brosnan, a aussi été ravie de lire un scénario destiné à une actrice plus mûre, d’origine étrangère. Présente dans tous les plans, Evelyn Wang est un type de personnage auquel le cinéma s’attarde rarement.

J’ai dit aux Daniel : “Vous savez, malgré votre folie, je ne saurais vous dire non !”

Michelle Yeoh

Jamie Lee Curtis, qui interprète la perceptrice à laquelle doit faire face Mme Wang, précise de son côté avoir instinctivement compris son personnage pour avoir rencontré « des fonctionnaires comme elle » au cours de sa vie.

PHOTO FOURNIE PAR ENTRACT FILMS

Jamie Lee Curtis dans Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois)

« Mais à la lecture du scénario, ajoute-t-elle, il était impossible d’imaginer à quoi pourrait ressembler ce film. Je n’en ai d’ailleurs pas eu la moindre idée jusqu’à sa présentation à South by Southwest. Je savais que les performances seraient bonnes, parce que j’en avais été témoin, mais comme mon personnage n’est pas toujours présent, c’était tout de même difficile à imaginer. Pendant le tournage, je n’avais aucune idée de ce que les Daniel étaient en train de faire. Michelle, tu avais compris, toi ? »

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Michelle Yeoh est la tête d’affiche d’Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois), un film de Daniel Scheinert et Daniel Kwan.

« Honnêtement, pas l’ensemble, non. En tant qu’actrice, mon travail est surtout de tenter de comprendre le personnage que je dois jouer et de le rendre réel. Parce que si je n’y parviens pas, le public ne pourra pas croire à ce qui arrive à Evelyn, peu importe l’univers parallèle dans lequel elle évolue. Après, suis-je à même de comprendre toutes les prouesses techniques et les effets spéciaux ? Quand les Daniel m’expliquent qu’en touchant à cet homme, je vais voir son visage exploser et qu’il en sortira des confettis, je me dis qu’ils sont fous. Mais bon, je prends une grande respiration et j’y vais. Souvent, j’avais l’air confuse, mais eux me disaient que c’était exactement le regard qu’ils recherchaient. Ce tournage a été très exigeant sur le plan physique aussi ! »

Une vision claire

Les années d’expérience des cinéastes dans le monde de la vidéo, et la virtuosité qu’ils affichent dans le domaine, ont assurément contribué à leur efficacité sur le plateau, fait d’ailleurs remarquer Michelle Yeoh. Leur vision était claire – à défaut d’être toujours compréhensible pour les actrices – et les effets numériques ont été réduits au minimum. Le tournage, qui a duré 38 jours, a pris fin le 17 mars 2020, alors que la planète entière était en train de s’arrêter à cause de la pandémie.

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Une scène d’Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois), un film de Daniel Scheinert et Daniel Kwan

« On sait bien que le film aboutira sur les plateformes à un moment donné, mais la meilleure façon de le voir est vraiment sur grand écran, dans une salle », fait valoir Jamie Lee Curtis, enchantée du succès qu’a obtenu Everything Everywhere All at Once à South by Southwest.

Il y a d’abord lieu de saluer les Daniel et le distributeur, A24, qui ont cru tellement fort à une sortie en salle qu’ils n’ont pas hésité à patienter pendant deux ans. Ils font confiance au public et comprennent que pour être apprécié à sa juste valeur, un film comme celui-ci doit faire l’objet d’une expérience collective.

Jamie Lee Curtis

Ce délai imprévu a permis aux cinéastes, qui n’étaient alors plus pressés par une échéance, de peaufiner le montage – frénétique et hallucinant – de leur long métrage.

« La projection à South by Southwest a été bouleversante, ajoute Michelle Yeoh. La magie du cinéma opère quand on voit un film dans une salle avec d’autres spectateurs. Sentir vibrer des gens à l’unisson constitue une expérience formidable. »

Everything Everywhere All at Once (Tout, partout, tout à la fois en version française) prendra l’affiche au Québec le 8 avril.