Isabelle Huppert fait partie de la distribution franco-britannique de Mrs. Harris Goes to Paris, la nouvelle comédie du cinéaste américain qui vit à Londres, Anthony Fabian. La Presse a joint la prolifique actrice française à son domicile à Paris. Elle est apparue sur notre écran, à travers Zoom, aussi élégante que sur un tapis rouge à Cannes !

Mrs. Harris Goes to Paris (Une robe pour Mrs. Harris en français) est un conte de fées moderne. Le film raconte l’inaccessible quête d’une femme de ménage anglaise dans le Paris mondain. Pensez-vous, comme Mrs. Harris, qu’il faut toujours croire en ses rêves ?

C’est plus qu’une question de foi. Mrs. Harris n’est pas une midinette qui rêve d’avoir une robe Dior. La robe est une métaphore. Par son intelligence, la puissance de sa pensée, cette femme devient un catalyseur : elle donnera aussi le droit de rêver aux autres femmes. Dans la vie, vous pouvez bien croire à vos rêves, mais si vous êtes du mauvais côté, ils n’arriveront jamais. Par sa détermination, Ada Harris finit par transmettre sa volonté aux autres. Elle a la fibre politique, et elle peut compter sur la force collective. Parce qu’on ne peut pas changer son destin tout seul.

Elle m’a fait penser à Winnie, dans Oh ! les beaux jours. Comme le personnage de la pièce de Beckett, Ada Harris (jouée arec brio par Lesley Manville) est une femme vive, joyeuse et éternellement reconnaissante. Faites-vous un parallèle entre les deux ?

Oui, ça définit très bien sa personnalité gaie et lumineuse, malgré la noirceur de l’Europe de l’après-guerre…

PHOTO JOHN MACDOUGALL, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La comédienne Isabelle Huppert au Festival de Cannes en juillet 2021

Ce personnage est foncièrement optimiste. Dans la vie, Isabelle Huppert est-elle plutôt de nature optimiste ou pessimiste ?

Ah… c’est une question difficile, je dirais que ça dépend des jours. Il y a tellement de raisons d’être pessimiste dans la vie. C’est pour cela qu’on se doit d’essayer quand même de rester toujours optimiste. Toutefois, l’optimisme ne doit pas vous donner des œillères face aux horreurs sur la planète.

Vous jouez madame Colbert, la directrice de la Maison Dior. Elle a beaucoup de responsabilités au travail, à une époque, les années 1950, où les femmes étaient surtout au foyer. Est-ce que son travail explique la froideur, la dureté du personnage ?

C’est une façade. Madame Colbert porte un masque pour briller dans ce monde d’élégance. En vérité, c’est une femme sensible et tourmentée par un drame personnel. Or, il n’y a que Mrs. Harris pour pouvoir lui redonner sa lumière et le goût de la vie. On associe souvent le monde de la mode à quelque chose de superflu. À tort ! Parce que la mode est une industrie et une économie tellement puissantes.

Votre carrière est à la fois riche et éclectique, vaste et variée. Qu’est-ce qui motive vos choix pour accepter un rôle ?

Il y a plusieurs raisons, un faisceau d’indices qui me laissent croire qu’un rôle est pour moi : le metteur en scène, le scénario, le propos, les dialogues. Surtout les dialogues. C’est très important pour un interprète de compter sur de bons dialogues. Ceux d’Anthony Fabian sont pointus et acides.

En 45 ans de métier, vous avez tourné dans une centaine de longs métrages et de séries. Qui plus est, on vous voit beaucoup au théâtre. C’est important pour la comédienne, ces allers-retours entre le cinéma et la scène ?

PHOTO VALERY HACHE, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

La comédienne Isabelle Huppert au Festival de Cannes en 2021

Non, pour moi, ce n’est pas du tout une obligation de passer de l’un à l’autre. C’est simplement une différente expérience. Chaque interprète fait comme il le sent. Je ne suis pas une meilleure actrice parce que je fais du théâtre… Or, j’ai eu l’occasion de travailler avec de grands artistes de la scène, comme Claude Régy, Robert Wilson et, plus récemment, Tiago Rodrigues [NDLR : le prochain directeur du Festival d’Avignon, en 2023]. Ces rencontres d’exception m’ont permis d’explorer des formes artistiques nouvelles et originales.

Un rôle qui a une place à part dans votre cœur ?

Aucun. Je n’ai aucune fidélité pour les rôles anciens. Il n’y a pas un rôle mieux qu’un autre. Sinon, celui que je suis en train de faire. Je reviens du Japon, pour tourner dans Sidonie au Japon, le troisième long métrage d’une réalisatrice française, Élise Girard. Alors je dirais ce rôle-là. Au théâtre, je joue depuis deux ans Lioubov dans La cerisaie, de Tchekhov. La production a tourné un peu partout. Je ne comprends pas pourquoi nous ne sommes pas allés au Québec. J’adorerais revenir faire du théâtre à Montréal ! Je n’y suis venue qu’une seule fois [NDR : pour 4,48 Psychose, de Sarah Kane, à l’Usine C, en 2005]. Peut-être que c’est encore possible d’y aller ?

Alors, on lance votre souhait dans l’univers, Mrs. Huppert…

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