Stéphane Larue a écrit un roman, inspiré de sa vie, dont la sortie a provoqué un véritable phénomène littéraire. Francis Leclerc est un cinéaste à qui les adaptations d’œuvres déjà reconnues ne font plus peur. Éric K. Boulianne est un scénariste à succès qui ne s’était encore jamais attaqué à une œuvre déjà existante. À l’arrivée, Le plongeur est un film de cinéma qui garde l’esprit du livre tout en ayant son identité propre. Rencontre.

L’aventure a commencé le jour où l’amoureuse de Francis Leclerc a suggéré à ce dernier de lire le roman de Stéphane Larue, alors tout juste déposé chez les libraires, en lui disant qu’il susciterait sans doute chez lui un intérêt. Et l’envie d’en faire un film.

« J’ai eu un coup de cœur et j’ai tout de suite voulu en acquérir les droits d’adaptation, explique le cinéaste à La Presse. Comme je savais ne pas être seul sur les rangs, j’ai provoqué un peu les choses en écrivant un message directement à Stéphane, accompagné d’un synopsis de deux pages. Il s’adonne que Stéphane est un grand fan d’Un été sans point ni coup sûr, un film important pour son père et pour lui. Comme quoi, quand on a l’intuition d’écrire à quelqu’un, il faut le faire ! »

« Mettez une bombe ! »

Première constatation : l’auteur ne voulait se mêler de rien. Même s’il fut un observateur présent pendant toutes les étapes de la fabrication du long métrage, il était celui qui incitait toujours le cinéaste et le coscénariste, Éric K. Boulianne, à s’éloigner d’une transposition à l’identique de son roman et à aller ailleurs.

« La première version du scénario que Stéphane a pu lire était beaucoup trop proche du livre, reconnaît Francis Leclerc. Il nous a dit : “Mettez une bombe ! Arrêtez de me respecter ! Fais-en du Scorsese si t’en as envie !” »

On a ajouté des affaires, on a regroupé des trucs, on a condensé le récit à partir d’un livre de 600 pages. Stéphane est devenu une sorte de mentor qui pouvait nous expliquer sa dépendance et comment ça se passait dans sa cuisine de restaurant. Ce gars-là est un univers en soi.

Francis Leclerc

« Je voulais surtout les laisser travailler de leur côté, confie Stéphane Larue. Ce que j’aime d’une adaptation au cinéma, c’est que ça peut donner une œuvre complètement autonome, pas un copié-collé du roman. »

Comme à peu près tous les écrivains de ma génération, j’ai baigné dans le cinéma, la télévision, et je suis très sensible à ce langage. On peut, en images, exprimer en 10 secondes ce qui prend 10 pages à décrire à l’écrit.

Stéphane Larue

« C’était vraiment inspirant de voir aller Francis et Éric, surtout quand ils inventaient des choses qui ne sont pas dans le livre du tout. Il y a aussi un élagage, forcément. Lire Le plongeur, c’est quand même un investissement de quelques dizaines d’heures. L’implication temporelle n’est pas pareille. »

L’audition d’un scénariste

Mettant en vedette Henri Picard dans le rôle du héros, ainsi que Charles-Aubey Houde, Joan Hart et Maxime De Cotret, le récit, en grande partie autobiographique, relate le parcours d’un jeune homme de 19 ans, grand admirateur de heavy metal, qui, au début des années 2000, tente de mettre un peu d’ordre dans sa vie, marquée par une dépendance maladive au jeu. Pour ce faire, il accepte un emploi de plongeur dans un restaurant branché.

  • Henri Picard est la tête d’affiche du film Le plongeur, réalisé par Francis Leclerc.

    PHOTO FOURNIE PAR IMMINA FILMS

    Henri Picard est la tête d’affiche du film Le plongeur, réalisé par Francis Leclerc.

  • Charles-Aubey Houde dans Le plongeur, un film réalisé par Francis Leclerc

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    Charles-Aubey Houde dans Le plongeur, un film réalisé par Francis Leclerc

  • Joan Hart dans Le plongeur, un film réalisé par Francis Leclerc

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    Joan Hart dans Le plongeur, un film réalisé par Francis Leclerc

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Pour l’épauler dans son adaptation du roman, Francis Leclerc a fait appel à Éric K. Boulianne (Menteur, Viking), choisi à la suite d’une audition de scénaristes qu’a organisée le cinéaste.

« La conversation que nous avons eue à propos du cinéma que nous aimons l’a convaincu, je crois, soutient le scénariste. On s’est ensuite souvent vus, Francis et moi, dans sa cuisine pour éplucher le roman en mangeant des pâtisseries. Nous avons fait le scène à scène ensemble et ensuite, je suis parti de mon côté pour écrire les dialogues. Pour la première adaptation de ma vie, je ne pouvais pas mieux tomber. Ce roman m’a beaucoup parlé parce que cet univers me ressemble. »

Au-delà du « film de cuisine »…

Pour Francis Leclerc, la principale préoccupation était de créer un cadre crédible – c’est un défi en soi – sans que Le plongeur devienne un « film de cuisine ».

« Le vrai sujet est la détresse de ce jeune homme, explique le cinéaste. La dépendance est un sujet délicat à traiter. Mon défi a été de faire un film accessible en abordant ce thème, sans tomber dans un côté trop racoleur, trop moraliste. »

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Stéphan Allard, Henri Picard et Marie-Michelle Garon dans Le plongeur, un film réalisé par Francis Leclerc

D’une certaine façon, je suis content que Loto-Québec n’ait rien voulu savoir de nous pour les scènes au casino. Quand on les a sollicités, on leur a évidemment dit la vérité en ne cachant rien du problème de jeu qu’a le personnage. La porte s’est tout de suite refermée et on a dû recréer le casino de toutes pièces à la Place des Arts. Ça a été compliqué, mais j’ai eu une totale liberté d’action. »

À 51 ans, avec six longs métrages au compteur et plusieurs séries à la télévision (Les beaux malaises, Marche à l’ombre), Francis Leclerc ne craint plus les défis. Au contraire, il les recherche.

« Quand j’ai fait L’arracheuse de temps, de Fred Pellerin, c’est là que j’ai vraiment pu mesurer comment je pouvais supporter la pression de porter à l’écran un univers que les gens connaissent déjà, tout en voulant faire quelque chose de différent. En fait, ce n’est pas vrai. La vraie pression, c’était Pieds nus dans l’aube. Une fois que tu adaptes ton père [Félix Leclerc] avec un film que tu as en tête depuis sa mort, que l’accueil est favorable et que tu en es fier, après, emmenez-en des défis ! »

Le plongeur ouvrira les 41es Rendez-vous Québec Cinéma le 22 février. Il prendra l’affiche partout au Québec le 24 février.

Quand Thom dit oui

PHOTO OLIVIER JEAN, ARCHIVES LA PRESSE

Thom Yorke, chanteur de Radiohead

Le héros du Plongeur étant un grand amateur de heavy metal, la trame musicale du long métrage est, à l’image de celle de C.R.A.Z.Y. (Jean-Marc Vallée) il y a 18 ans, extrêmement riche de titres connus, signés cette fois Bruce Dickinson, Iron Maiden, Metallica, The Chemical Brothers, Neil Young, Radiohead, Groovy Aardvark, Jean Leloup et plusieurs autres. Sans donner de chiffres précis, Francis Leclerc, aussi producteur associé, indique qu’il tenait à ce qu’une somme substantielle du budget global de son film (6,2 millions de dollars) soit consacrée aux droits musicaux.

« J’ai écrit à tout le monde en leur résumant le film et en leur décrivant l’utilisation que je comptais faire de leur chanson », raconte celui qui, en 2005, a obtenu les Jutra du meilleur film et de la meilleure réalisation grâce à Mémoires affectives.

« Par exemple, j’ai envoyé un mot à Thom Yorke [Radiohead] en lui expliquant que je voulais qu’on entende Like Spinning Plates au moment où Stéphane entre dans le casino un soir où tout s’écroule et que la caméra tourne autour de lui. Quarante-huit heures plus tard, j’avais son autorisation. Neil Young, pareil. Il m’a répondu en me disant qu’il aimait beaucoup l’idée. »

« Tous les groupes heavy metal ont bien répondu quand je leur ai précisé que leur musique fait partie intégrante de l’univers qu’on décrit dans le film, poursuit-il. Ayant eu un père [Félix Leclerc] qui s’est fait solliciter pour beaucoup de choses, j’ai toujours été sensible à la manière de demander. En expliquant vraiment ce que je voulais faire, ça a marché. Vraiment, je n’aurais pas pu rêver d’une trame musicale comme celle-là ! »