(Paris) Présélectionné parmi les 15 longs métrages d’abord retenus aux Oscars dans la catégorie du meilleur film international, le troisième long métrage de Davy Chou trace le portrait d’une jeune femme ayant été adoptée très jeune par une famille française. Ce retour au pays d’origine trouve aussi un écho dans le propre parcours du cinéaste. Entretien.

Tout a commencé en 2011, quand Davy Chou a été invité à présenter Le sommeil d’or, son premier long métrage, au festival de Busan en Corée du Sud. Quand elle a appris la nouvelle, une amie avec qui le cinéaste a fait ses études universitaires lui a spontanément offert de l’accompagner et de lui faire découvrir « son pays ».

« J’ai été surpris, car jamais elle ne m’avait parlé de la Corée du Sud auparavant, de la même manière que moi, je ne lui avais jamais parlé du Cambodge », explique Davy Chou au cours d’un entretien accordé à La Presse lors des Rendez-vous du cinéma français d’Unifrance.

Une histoire parallèle

Il se trouve pourtant que cette amie et lui ont vécu de façon parallèle une histoire de retour aux racines à l’âge de 25 ans. Lors de son premier séjour en Corée du Sud, la jeune femme pensait y séjourner six mois ; elle y est restée deux ans. De son côté, le premier séjour qu’a fait Davy Chou au Cambodge devait également durer six mois au préalable. Or, le cinéaste est plutôt rentré en France un an et demi plus tard avec, sous le bras, un film documentaire sur le cinéma oublié du pays de ses parents.

Ayant été témoin, une fois à Busan, d’une nouvelle rencontre « étrange » entre son amie et le père biologique de cette dernière, celui dont le 2e long métrage, Diamond Island, a été sélectionné à la Semaine de la critique au Festival de Cannes en 2016 a pu s’inspirer de cette histoire pour écrire, 10 ans plus tard, Retour à Séoul. On y suit le parcours d’une jeune Française de 25 ans, née en Corée du Sud, qui retourne pour la toute première fois dans son pays d’origine, où vit une parenté inconnue.

PHOTO THOMAS FAVEL, FOURNIE PAR MÉTROPOLE FILMS

Scène tirée de Retour à Séoul, un film de Davy Chou

« Il y avait tellement de colère d’un côté et de regrets de l’autre que toute communication était devenue impossible, même s’il n’y avait aucun effet dramatique. Ça se ressentait, tout simplement. C’était bouleversant », se rappelle le cinéaste.

Aveuglement volontaire

Né en 1983 de parents cambodgiens venus étudier en France au début des années 1970, Davy Chou a écrit son scénario sans vraiment penser à sa propre histoire, même s’il a ressenti lui aussi, dans sa vingtaine, l’irrépressible envie d’aller visiter le pays d’origine de sa famille.

« Mes parents sont venus en France pour poursuivre leurs études avec la ferme intention de retourner au Cambodge ensuite – ils étaient alors très jeunes –, mais le destin en a décidé autrement. Quand les Khmers rouges ont pris le pouvoir là-bas, ils ont perdu pratiquement toute leur famille dans le génocide. Par la force des choses, ils sont restés en faisant désormais de la France leur pays. »

J’ai grandi dans un environnement où il n’a jamais été question d’un retour au Cambodge. Surtout pas. On m’en donnait d’ailleurs toujours l’image très sombre d’un pays qu’ils ont dû fuir. C’était comme si mes parents faisaient tout ce qu’ils pouvaient pour m’enlever toute envie d’y aller. Mais quand on ferme une porte à double tour, on souhaite toujours l’ouvrir pour voir ce qu’il y a derrière.

Davy Chou, réalisateur

PHOTO PATRICIA DE MELO MOREIRA, ARCHIVES AGENCE FRANCE-PRESSE

Park Ji-Min, interprète du rôle principal de Retour à Séoul, et Davy Chou à Cannes, en mai dernier

Une espèce de phénomène d’aveuglement volontaire a fait en sorte que Davy Chou a vu seulement après le tournage de Retour à Séoul les parallèles entre l’histoire racontée dans son film et la sienne.

« Je crois que j’avais besoin de ne pas y penser pour écrire et réaliser ce film, fait-il remarquer. Autrement, j’aurais trouvé ça trop vulgaire, trop attendu, trop personnel. Et je ne l’aurais pas fait. On ne se demande pas non plus si ce qu’on est train de réaliser va plaire ou pas. On fait d’abord le film qu’on veut faire en espérant qu’il ait un écho. Là, je constate que Retour à Séoul provoque beaucoup d’émotion, beaucoup de sentiment de reconnaissance, dans un monde où l’on est aujourd’hui obsédé par les questions d’identité. »

Gare au biais masculin

Retour à Séoul est aussi construit autour du parcours d’une jeune femme prénommée Freddie. Son interprète Park Ji-Min, une artiste-plasticienne qui, ici, fait ses débuts au cinéma, a souvent mis en garde le cinéaste à propos de son parti pris masculin.

« Park Ji-Min m’a bousculé dès le travail de répétition en me demandant de me justifier sur la caractérisation du personnage de Freddie, sur ses agissements, pratiquement à chaque scène, à chaque réplique. Ce n’était pas facile, mais ses questions ont été à la fois bénéfiques et essentielles pour la construction d’un personnage réel et complexe, qui ne serait pas uniquement le fantasme d’un réalisateur mec. Je lui suis reconnaissant d’avoir pu faire ce travail de déconstruction avec elle. »

Retour à Séoul prendra l’affiche le 3 mars.

Les frais de voyage ont été payés par Unifrance.