Avec Une femme respectable, le réalisateur de Contre toute espérance adapte une nouvelle de Luigi Pirandello et transpose l’action dans le Québec des années 1930. Un récit tout en nuances et en dentelle.

Agnostique, nationaliste et polémiste, Bernard Émond est attaché aux valeurs humanistes du passé et à notre héritage religieux. Depuis plus de 30 ans, tant dans ses films que dans ses ouvrages, le réalisateur explore l’espoir et la bonté humaine. En peignant les demi-teintes et les revers de ces vertus.

Pour son nouveau long métrage, Une femme respectacle, il s’est inspiré d’une nouvelle de Luigi Pirandello (Toute la vie, le cœur en peine). Le scénariste l’a adaptée en la situant à Trois-Rivières à l’hiver 1931, durant la Grande Dépression. On suit le parcours de Rose (Hélène Florent), une femme aisée dans la quarantaine, séparée depuis 11 ans de son mari ouvrier (Martin Dubreuil). À la demande du curé de sa paroisse, elle accepte de le reprendre chez elle, avec ses trois enfants, à la mort de sa maîtresse.

Le film parle de solitude, de foi et de charité. Un prêtre joué par Paul Savoie joue le rôle de guide et d’éclaireur de conscience pour Rose. « Il serait un psychologue aujourd’hui », remarque le cinéaste, lorsque je lui dis que c’est rare qu’on donne aujourd’hui un beau rôle aux curés d’antan…

« Je suis très attaché à l’héritage chrétien, bien que je ne sois pas croyant, explique-t-il. Malgré les abus, nombreux et terribles, tous les prêtres n’étaient pas des pédophiles. »

Une majorité de religieux et de religieuses voulaient faire le bien. Et ils l’ont fait. J’en ai connu, de bons curés, au collège, à la campagne. Bien sûr, ça n’excuse aucunement les agresseurs.

Bernard Émond

Malgré les différences de classes sociales, les injustices, Bernard Émond apporte des nuances au discours actuel, à la morale de notre époque qu’il trouve manichéenne et simpliste :

« Injustice ! On n’a que ce mot à la bouche de nos jours. On parle uniquement des victimes, mais la vie est plus compliquée, et plus intéressante que ça, soutient le réalisateur. Ce ne sont pas tous les immigrants qui mènent une vie de misère. Ce ne sont pas toutes les femmes qui ont été violées. Ma famille vient d’Hochelaga. Mes oncles, mes tantes ont travaillé fort, avec fierté, pour nourrir leurs enfants. Malgré la pauvreté, ils ont vécu une vie digne. Quand, par exemple, je vois des gens voter Québec solidaire et envoyer leurs enfants chez les ursulines, ça me fait rigoler.

PHOTO HUGO-SÉBASTIEN AUBERT, LA PRESSE

Bernard Émond : « Je n’en peux plus de notre époque où tout le monde se voit en victime ! »

— C’est délicat dire ça aujourd’hui…

— Je m’en fous ! Je n’en peux plus de cette époque où tout le monde se voit en victime, rétorque-t-il aussitôt. De ces gens qui veulent montrer à tout prix comment ils sont bons, parfaits, pas racistes, et se donner bonne conscience. Souvent, les gens ne sont ni bons ni méchants, ou sont les deux à la fois. »

En lisant la nouvelle de Pirandello, Bernard Émond a aimé le fait qu’on nous montre des personnages très différents, nuancés, troubles. Avec leurs désirs et leurs peurs. « Ces personnages ne savent pas du tout ce qu’ils veulent, comme souvent en amour, explique-t-il. Pirandello expose la vérité humaine dans ses contradictions. On est loin du manichéisme de notre époque. »

Son dernier film

Une femme respectable sera (probablement) le dernier film de Bernard Émond, qui aura 72 ans en septembre. « Je n’ai aucun projet dans ma machine, affirme-t-il. Ça devient difficile de financer un film au Québec. On a bouclé le budget de celui-ci [3 millions] par la peau des fesses. Mais je ne me plains pas, je ne suis pas une victime [rires] ! J’ai eu le privilège d’avoir une productrice qui croit en mes films et les soutient depuis plus de 30 ans. »

Bernadette Payeur est en effet fidèle au cinéaste. Elle a produit plusieurs films très personnels de cinéastes québécois. « Pour moi, il n’y a pas que le succès au box-office qui détermine la valeur d’un film, dit la productrice en entrevue. C’est important qu’une œuvre intime, personnelle trouve aussi son public, au Québec ou dans les festivals à l’étranger. »

Bernadette Payeur a fait la connaissance d’Émond en 1989, sur le plateau du film Le party, de Pierre Falardeau, qu’elle produisait. « Bernard est venu voir Pierre pour lui faire lire un scénario. Les deux hommes s’aimaient beaucoup, dit-elle, même si leurs personnalités et leurs œuvres sont différentes. Ces deux anthropologues se retrouvaient dans l’esprit, les valeurs et la fierté du peuple québécois. »

Qu’aime-t-elle dans les films du réalisateur de La femme qui boit ?

C’est un grand scénariste, Bernard. Quand je lis ses scénarios, j’embarque tout de suite. Et j’aime aussi les messages livrés dans ces films.

Bernadette Payeur, productrice

Comme plusieurs œuvres d’Émond, Une femme respectable expose le destin d’un personnage féminin courageux qui prend en main son destin. « Ces femmes sont au cœur de mon travail, fait remarquer le cinéaste. J’aime la complexité, l’humanité et le courage qu’elles expriment. Il y a dans leurs visages et dans leurs gestes, dans ce qu’elles montrent autant que dans ce qu’elles cachent, une des raisons d’être de mon cinéma. »

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La comédienne Hélène Florent : « Il y a beaucoup de sous-textes, de non-dits. Il n’y a rien d’improvisé. »

Après avoir dirigé les Élise Guilbault, Guylaine Tremblay, Luc Picard et Patrick Drolet, le réalisateur travaille pour la première fois avec un superbe duo d’acteurs : Martin Dubreuil et Hélène Florent. Des acteurs avec une grande intériorité. Dans le film, toute l’émotion passe à travers les gros plans, les visages, les regards… « C’est le contraire du non-jeu, explique Hélène Florent. Il y a beaucoup de sous-textes, de non-dits. Il n’y a rien d’improvisé. Mais c’est un jeu précis, peaufiné, ouvragé ; comme des petits centres de table en dentelle. »

À l’image des films de Bernard Émond, un cinéaste qui brode les fins contours et le clair-obscur des sentiments humains.

Une femme respectable de Bernard Émond. En salle dès le 18 août.