Ira Sachs a attrapé le virus du cinéma à Paris, au début des années 1990. Le cinéaste chéri du nouveau cinéma indépendant américain lance ces jours-ci Passages, son premier film entièrement tourné en France. La Presse l’a joint chez lui à Manhattan.

Depuis sa tendre jeunesse, Ira Sachs est amoureux de la France en général et du cinéma français en particulier. Pour son nouveau long métrage, Passages, le réalisateur américain a tourné en France l’histoire d’un triangle amoureux, avec une équipe de talents européens. Ses acteurs principaux sont allemand, anglais et français : Franz Rogowski (Great Freedom), Ben Whishaw (Women Talking) et Adèle Exarchopoulos (La vie d’Adèle). Passages a été présenté à Sundance en janvier et a été nommé pour le meilleur long métrage à Berlin en février dernier.

« J’ai une relation très intime avec Paris. C’est une ville où j’ai eu du sexe, des relations de couple et des peines d’amour, illustre Sachs. Et c’est aussi LA capitale mondiale du cinéma d’auteur, rien à comparer avec New York. J’ai vu 197 films en une saison quand j’ai vécu à Paris ! » À la fin des années 1980, Sachs a étudié en cinéma dans la Ville Lumière.

Triangle amoureux

Passages raconte l’histoire de Tomas, un réalisateur allemand qui vit en couple à Paris avec Martin. Un soir de fête à la fin d’un tournage, il rencontre Agathe dans un bar. Coup de foudre ! Dès lors, Tomas entame une liaison ouverte qui menace la stabilité de son couple avec Martin. Entre les deux, Tomas devra faire un choix… 

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Franz Rogowski et Ben Whishaw

Ira Sachs explore un sujet classique, mais à la saveur actuelle. « J’adore le côté érotique et le suspense du triangle amoureux », dit-il. Au centre de son triangle, le bestial Tomas, un genre de Stanley Kowalski artistico-bobo. « Tomas résiste aux normes et contraintes de la vie sociale. Il est rude, bestial. Mais c’est un homme capable de tourner la laideur en beauté », résume le cinéaste. Sachs dit avoir dirigé deux brillants acteurs, aux antipodes, pour former le couple à la dérive.

Franz [Rogowski] est un animal à la beauté sauvage ; et Ben [Whishaw] est un couteau tranchant et précis. Ils peuvent faire des dommages dans une scène.

Ira Sachs

Tomas se questionne aussi sur la fluidité de son orientation sexuelle. Il y a des scènes de sexe assez explicites, un humour cru, et un côté intello et bohème. Pour Sachs, le choix que le troisième côté du triangle soit une femme vient d’une réflexion faite après avoir vu L’innocent. Ce classique de Visconti expose aussi les relations tumultueuses d’un triangle amoureux, mais d’une tout autre époque. « J’ai été fasciné par la beauté et la sensualité de [l’actrice italienne] Laura Antonelli. J’ai même remis en question la nature binaire, la fluidité de mon propre désir sexuel », dit le réalisateur marié avec le peintre latino-américain Boris Torres.

Cinéma personnel et indépendant

Passages est le cinquième long métrage qu’il a coécrit en dix ans avec Mauricio Zacharias, après Frankie, Little Men, Love Is Strange et le bouleversant Keep the Lights On. Le duo s’intéresse au cinéma qui relate la complexité des relations humaines. « Mes films sont très personnels. Je mets le plus de moi possible, en développant des fictions qui seront transformées par le jeu des acteurs. L’unique raison pour laquelle je crée des films, c’est pour montrer la vérité humaine. »

Ça ne m’intéresse pas de faire un film qui ne parle pas des relations humaines. Je suis reconnaissant de pouvoir faire des films artisanaux, indépendants, avec des gens qui partagent les mêmes valeurs de cinéphiles.

Ira Sachs

Le plaisir du cinéma, pour lui, c’est aussi de travailler avec la lumière et « d’explorer les couleurs, la peau, les corps, la beauté ». Pour Passages, il a été secondé par la directrice photo Josée Deshaies, une Québécoise qui vit et travaille sur les deux continents. (Deshaies a entre autres collaboré aux films La femme de mon frère, Nelly, Curling et Saint-Laurent de Bertrand Bonello, son compagnon de vie).

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Adèle Exarchopoulos et Ben Whishaw

« Passages est un film sur la transition. J’ai essayé de faire un film où dans chaque scène, on n’est jamais certain de ce qui va arriver après, où tout est possible. Mon but est de séduire le public, afin que les gens dans la salle soient allumés par mes films », conclut Ira Sachs. Finalement, le cinéaste voit ses œuvres comme des conquêtes amoureuses. Tomas aurait probablement dit la même chose…

En salle ce vendredi