Cinéaste de combat, Richard Desjardins a brassé la cage avec des films comme L’erreur boréale et Trou Story, où il dénonce les excès dans l’exploitation de nos ressources naturelles. Le revoilà là où on ne l’attendait pas, avec un beau documentaire où il fait le portrait du compositeur qui est l’idole absolue et le calvaire des pianistes : Chopin.

La séquence d’ouverture de Chip Chip – Chopin par Desjardins a de quoi désarçonner. Sur l’écran, l’image de grandes cheminées éternelles comme l’enfer et la voix de Richard Desjardins, qui, de ce ton sévère qu’on lui connaît, raconte qu’au début du siècle dernier, des millionnaires de New York ont mis la main, en Abitibi, sur un gisement de cuivre « de la grosseur de la Place Ville Marie » et qu’ils ont construit une fonderie dessus. On cherche le lien avec Chopin…

Il viendra vite : puisque personne ne voulait aller travailler au fond du trou creusé à Rouyn-Noranda, la minière a attiré des gens venus de l’Europe de l’Est – d’Ukraine et de Pologne, notamment. Qui ont transporté leur culture et leur poésie dans leur baluchon. « Comme Chopin, précise Desjardins, qui m’a aidé à faire ma vie comme je l’entendais. »

On connaît le lyrisme de Desjardins lorsqu’il se met au piano. Ce toucher délicat aux antipodes de sa voix brute, ces mélodies aussi élégantes que sa poésie peut être romantique. On sait moins que, depuis l’enfance, l’auteur de Tu m’aimes-tu est subjugué par Chopin, par ses valses et ses études qui lui ont donné du fil à retordre au piano autant qu’elles l’ont ému tout au long de sa vie.

« Je suis capable de reconnaître Chopin même quand ça joue dans un petit speaker au garage à deux coins de rue de chez nous », assure Desjardins. Sa mère en jouait à l’occasion. Il a lui-même tenté le coup, mais a vite rendu les armes.

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE

Richard Desjardins en 2018

Au début [d’une partition], il te met en cage. Il te donne l’impression que tu pourras jouer le morceau au complet et, après deux ou trois pages, il part. On dirait qu’il fait exprès pour ne pas qu’on le joue !

Richard Desjardins

De Varsovie à Paris

Chip Chip – Chopin par Desjardins est un projet bien personnel. Après l’ouverture au sujet de la mine, il part sur les traces de ce compositeur qui le fascine. On suit ainsi Desjardins à Varsovie, où Chopin est né d’un père français et d’une mère polonaise, et ensuite en France, où il a passé sa vie adulte et a vécu un amour passionnel avec la femme de lettres George Sand. C’est d’ailleurs elle qui l’a surnommé Chip Chip.

Il raconte le jeune homme malade (il a contracté la tuberculose à l’adolescence), le pianiste doué, le compositeur exigeant et intransigeant qui ne se produira presque jamais dans des salles de concert. Ça ne l’intéressait pas, se produire en public, raconte Desjardins. « Ça l’intimidait, et en plus, il ne jouait pas fort. » Les passages les plus délicats de ses musiques ne convenaient pas, en effet, à l’acoustique des salles de l’époque.

Desjardins raconte le compositeur à travers des entretiens avec des spécialistes, qui font part d’observations éclairantes tant sur sa musique que sur l’évolution du piano lui-même. Il rencontre aussi des pianistes chevronnés, dont Charles Richard-Hamelin (médaillé d’argent au prestigieux Concours international de piano Frédéric Chopin de Varsovie) et la pianiste jazz Marianne Trudel.

IMAGE TIRÉE DU FILM CHIP CHIP – CHOPIN PAR DESJARDINS

Richard Desjardins et le pianiste Charles Richard-Hamelin

Avec eux, il décortique les innovations esthétiques du compositeur franco-polonais. « Chopin découle de ce qui s’est fait avant lui, mais il marque aussi une rupture », souligne Richard Desjardins. Il a « libéré » la main droite, s’est aussi accordé une liberté inédite sur le plan des tonalités, des modulations, de la « couleur » harmonique, tout en faisant en sorte que ce ne soit pas choquant pour l’oreille.

Chopin a influencé les Ravel et Debussy. « J’avance l’hypothèse qu’il serait aussi l’une des racines du jazz », dit Richard Desjardins. Ce qu’il démontre notamment en compagnie de Charles Richard-Hamelin, qui souligne un accord chez Chopin qui, selon lui, met le pied chez Herbie Hancock. Marianne Trudel, qui juge que le style de Chopin est le « summum du piano expressionniste », retrace quant à elle son influence jusque dans la bossa-nova brésilienne.

Chopin raconte Desjardins…

Tout au long de sa quête, Richard Desjardins se raconte aussi un peu. Juste un peu, car à l’écran comme en entrevue, il ne se dévoile jamais vraiment. Il esquive, comme toujours, les questions trop personnelles et se montre même étonné lorsque Marianne Trudel lui dit entendre des traces de Chopin dans son style à lui. « Tu penses que j’aurais été influencé ? », lui demande-t-il, l’air plus gêné que surpris.

« J’ai déjà été conscient en composant que, dans certains morceaux, il y avait un peu de Chopin, avoue-t-il en entrevue. Entre autres dans le solo qui vient après le deuxième couplet dans L’effet Lisa (une chanson de son album Boom Boom). Il y a un rubato – un temps volé –, une chose que Chopin aimait beaucoup. »

Marcher dans les traces de Chopin a-t-il redonné à Richard Desjardins l’envie de composer de nouvelles chansons et de refaire des concerts ? « Je suis occupé ailleurs », dit-il lorsqu’on lui parle de la scène. « J’en ai, répond-il, lorsqu’on l’interroge au sujet de nouvelles chansons. J’ai du stock pour avancer, mais je ne suis pas dans le mood… » On le sent mal à l’aise, embêté d’évoquer sa vie de chansonnier. En attendant du nouveau – on croise les doigts –, on peut faire comme Desjardins : partir en quête de Chopin, mais en en cherchant des traces dans ses chansons à lui.

En première au Festival du nouveau cinéma en présence de Richard Desjardins et de Charles Richard-Hamelin, le 13 octobre, à 17 h 30, au cinéma Impérial. Diffusé le 14 octobre, 22 h 30, à ICI Télé.

Chip Chip - Chopin par Desjardins

Documentaire

Chip Chip - Chopin par Desjardins

Richard Desjardins

Avec Richard Desjardins, Charles-Richard Hamelin, Marianne Trudel

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