Dans son troisième long métrage, Jeanne Herry s’intéresse à la justice restaurative, introduite en France en 2014. Puissant film choral, Je verrai toujours vos visages met en scène des victimes et des agresseurs qui dialoguent afin de trouver réparation.

Après Pupille (2018), drame où elle abordait l’adoption d’un nourrisson né sous X, Jeanne Herry (Elle l’adore, 2014) cherchait un sujet pour son prochain film. Fascinée depuis l’enfance par le monde judiciaire, elle tombe au cours de ses recherches sur une émission balado de Radio France sur la justice restaurative.

« J’ai trouvé ce sujet incroyablement intéressant et passionnant. Je savais qu’il y avait du cinéma partout, que c’était une promesse de cinéma, de personnages, de situations intenses. Comme j’étais en recherche d’intensité, c’était parfait pour moi », se souvient la réalisatrice française, qui était de passage à Montréal pour présenter son film à Cinemania plus tôt ce mois-ci.

Dans Je verrai toujours vos visages, Jeanne Herry présente deux types de dispositifs sécurisés de justice réparatrice. D’un côté, Chloé (Adèle Exarchopoulos), avec l’aide d’une médiatrice, Judith (Élodie Bouchez), se prépare à annoncer à son demi-frère qui l’a violée durant toute son enfance qu’elle ne veut plus le voir.

« J’avais envie de comprendre les mécanismes de l’inceste. C’était traditionnel de faire corps autour de l’agresseur. Il y a un truc anachronique dans le déroulement des faits ; la famille n’explose pas quand le crime a lieu, mais quand la victime parle. »

PHOTO MARTIN TREMBLAY, LA PRESSE

La réalisatrice Jeanne Herry, qui était récemment à Montréal dans le cadre de Cinemania

Pendant des décennies, voire plus, des lois régulaient ce qui se passait à l’extérieur des maisons, mais à l’intérieur des maisons, on faisait bien ce qu’on voulait. Maintenant, on commence un petit peu à passer par l’extérieur, et c’est tant mieux. Derrière tout ça, il y a un problème de santé publique, car il y a une multiplication d’addictions, de problèmes psychiatriques, de comportements à risques.

Jeanne Herry

De l’autre côté, deux animateurs, Fanny (Suliane Brahim) et Michel (Jean-Pierre Darroussin), supervisent des rencontres entre trois victimes de vols avec violence, Nawelle (Leïla Bekhti), seul personnage inspiré d’une femme que la réalisatrice a rencontrée, Grégoire (Gilles Lellouche) et Sabine (Miou-Miou), et trois agresseurs qu purgent leur peine en prison, Nassim (Dali Benssalah), Issa (Birane Ba) et Thomas (Fred Testot).

PHOTO CHRISTOPHE BRACHET, FOURNIE PAR AZ FILMS

Adèle Exarchopoulos dans le rôle de Chloé

« Je n’ai pas épluché les faits divers ; j’ai rencontré plein d’animateurs et des encadrants du côté de la justice restaurative, qui m’ont bien expliqué les protocoles. Quand on connaît bien les protocoles, on peut y adosser une dramaturgie. Ensuite, j’ai choisi des typologies de crimes. Je trouvais intéressant qu’il y ait une variété d’agressions : des vols avec violence, des braquages, des vols à la tire, des home jackings [violations de domicile avec agression]. »

Formation québécoise

Ne pouvant pas assister aux rencontres entre victimes et agresseurs puisque ce sont des dispositifs confidentiels et sécurisés, Jeanne Herry a pu suivre des formations au cours desquelles elle a aussi participé à des mises en situation comme dans la scène d’ouverture du film.

« Ça, c’était super et c’est le seul truc que j’ai pu un peu éprouver de l’intérieur. Je me suis dit que ça ferait une bonne scène d’ouverture un peu marrante, un peu roublarde. En plus des formations en France, j’ai pu suivre des formations au Québec par Zoom. Globalement, les gens sont satisfaits parce qu’humainement, on est tous faits pareil. Basiquement, on a tous besoin de déballer son sac et de se sentir écouté, compris, respecté, un peu moins seul. L’autre n’est pas tout à fait autre ; on se projette, on trouve des petits échos. »

PHOTO CHRISTOPHE BRACHET, FOURNIE PAR AZ FILMS

Scène de Je verrai toujours vos visages

Après avoir rappelé que la justice restaurative avait joué un rôle important lors du procès des attentats du Bataclan, lequel s’est tenu de septembre 2021 à juin 2022, elle ajoute : « Est-ce que ça empêche les gens de récidiver ? Non, parce que la récidive, c’est multifactoriel et hypercomplexe. Est-ce que ça répare durablement toutes les victimes ? Non, c’est impossible, mais bien souvent, ça ne revictimise pas les gens, ce qui est principalement la crainte de tout le monde. »

Outre la scène de simulation, la cinéaste, qui admet aimer bien rigoler dans la vie, a inclus des moments où les intervenants décompressent autour d’un verre, blaguent entre eux.

« Dans le réel et dans le scénario, c’est quand même des dispositifs qui charrient beaucoup de souffrance, de colère, de traumatismes. Or, les encadrants que j’ai interrogés dans le cadre de ma documentation ressemblent à leur justice. Ils sont énergiques, ouverts, sympathiques, très humains, très marrants, pleins de vitalité. C’est un métier qui les passionne où ils vivent des choses fortes et intenses. Je voulais juste montrer qu’il y avait beaucoup d’amitié, de compagnonnage, de complicité dans ces équipes de justice restaurative. »

Pour les deux types de rencontres, la réalisatrice a opté pour la sobriété : aucune trame sonore, très peu de flash-backs et des gros plans pour capter toutes les émotions que vivent les différents personnages au cours du processus. « J’aime bien regarder les gens parler, raconter. Je trouve que c’est déjà très spectaculaire de voir les émotions sortir. Il n’y a rien qui me bouleverse plus de voir quelqu’un qui comprend, qui réfléchit, qui change d’avis. Pour moi, c’est un film d’action », conclut Jeanne Herry.

En salle le 17 novembre