Dans L’amour et les forêts, adaptation du roman d’Éric Reinhardt, Valérie Donzelli expose sous la forme d’un thriller psychologique les ravages de la masculinité toxique dans un couple en apparence parfait.

Alors que dans le roman d’Éric Reinhardt, L’amour et les forêts (Gallimard, 2014), Bénédicte Ombredanne est vouée à un triste destin, dans la version de Valérie Donzelli (La guerre est déclarée), l’avenir s’annonce d’emblée plus lumineux pour l’héroïne renommée Blanche Renard – la cinéaste trouvant le nom original « horrible, pas du tout cinématographique ni romanesque ».

« Dans la vie en général et quand je fais un film, j’ai toujours besoin d’aller vers la lumière, explique la réalisatrice, rencontrée lors de son passage au Festival de films francophones Cinemania plus tôt ce mois-ci. C’était important pour moi que le film soit lumineux. D’ailleurs, quand j’avais lu le livre, j’avais vu le potentiel d’un point de vue du thriller psychologique, mais pour moi, c’était évident qu’elle devait s’en sortir et qu’elle ne devait pas subir le même sort horrible. Je voulais qu’elle s’en sorte par elle-même et que ce soit un chemin d’émancipation. »

PHOTO ROBERT SKINNER, LA PRESSE

Valérie Donzelli

En plus de suivre une trajectoire différente, le personnage féminin décrit comme une petite brune délicate, presque insignifiante, se transforme en une blonde solaire et sensuelle, incarnée par Virginie Efira, pour qui Valérie Donzelli a écrit le film.

Je trouvais qu’il fallait une actrice qui soit forte physiquement, qui ne soit pas une petite chose fragile, et qui en même temps soit quelqu’un pour qui on ait de l’empathie. Virginie correspondait à ces deux critères et puis l’immensité de son talent m’a aussi convaincue qu’elle pourrait jouer les deux rôles.

Valérie Donzelli

« Dès le départ, j’avais dit à Audrey Diwan, avec qui j’ai écrit le scénario, que je voulais que ce soit la même actrice qui joue les deux sœurs, mais il ne fallait pas que ça nous sorte du film. J’avais l’impression d’avoir deux actrices sur le plateau. »

Dans le roman, les sœurs jumelles sont complètement différentes et la seconde sœur, Rose, n’apparaît qu’à la fin et non au début du récit, comme dans le film. Par ailleurs, la figure de l’écrivain, à qui l’héroïne raconte son histoire, a été remplacée par une avocate (Dominique Reymond).

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Virginie Efira dans L’amour et les forêts

« Ce que je trouvais intéressant, c’est qu’elle soit un reflet d’elle-même, que Blanche est à la fois Rose et que Rose est à la fois Blanche. Le film est assez mental, je voulais qu’on soit dans la tête de la victime. Cette histoire de sœurs allait dans ce sens-là. Je voulais aussi garder l’idée de la parole qui se libère et qui est écoutée. Avec Audrey, on a essayé de garder l’écrivain, mais c’était impossible parce que quand elle lui fait son récit, l’histoire a déjà commencé. Et nous, on voulait montrer comment ça se fabrique. Il fallait forcément qu’elle la raconte à quelqu’un d’autre, et donc, on s’est dit qu’il fallait qu’elle la raconte à la justice. »

Créer de la tension

Pour jouer le mari, Grégoire Lamoureux, imbuvable pervers narcissique, la cinéaste a jeté son dévolu sur Melvil Poupaud, qui n’avait jamais autant dévoilé son côté sombre à l’écran. « Il a ensuite joué un personnage un peu semblable dans le dernier Woody Allen. Je trouvais ça intéressant parce que ce n’est pas attendu. Quand on le voit, on est séduit, et petit à petit, on a peur. On voit la méchanceté, la folie, quoi. »

Afin de raconter cette histoire d’emprise, Valérie Donzelli a opté pour une forme elliptique et non linéaire. Elle a aussi favorisé les plans séquences : « Quand j’ai monté le film, avec Pauline Gaillard, j’ai tout de suite compris qu’il fallait travailler sur l’ellipse et arracher des bouts du récit et les mettre à d’autres endroits pour raconter des souvenirs. »

C’est un film que j’ai travaillé assez différemment des autres films. Pour les scènes dures, il fallait qu’on sente l’oppression, et le plan séquence, c’est oppressant et crée de la tension. Je me suis beaucoup amusée avec la mise en scène de ce film à créer ce contexte d’oppression.

Valérie Donzelli

Malgré le plaisir éprouvé en tournant L’amour et les forêts, qu’Éric Reinhardt adore, au dire de la cinéaste, Valérie Donzelli ne pouvait oublier la hausse des cas déclarés de violence conjugale et de féminicides, en France comme partout ailleurs.

« L’un des grands combats du XXIsiècle, c’est de dire haut et fort que la masculinité toxique existe et qu’il faut que ça s’arrête. Le rapport de forces et de domination existe parce qu’on a peur de sa propre infériorité. Blanche est solaire, cultivée, belle ; elle a tout pour elle, sauf qu’elle ne s’en rend pas compte. Grégoire l’aime comme un trophées et sa peur, c’est qu’elle lui échappe. Quand j’y repense, il est horrible ! C’est éprouvant, réaliser un film comme ça. Avec Audrey, chaque fois qu’on lisait le scénario, on était épuisées. Avec Pauline, chaque fois qu’on regardait le film, c’était une épreuve. »

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