Dans La fiancée du poète, son troisième long métrage en 20 ans, Yolande Moreau se met en scène dans la peau d’une magouilleuse qui revient dans son patelin 40 ans après s’être enfuie avec son amoureux

Ce n’est qu’à l’aube de la cinquantaine que l’actrice belge Yolande Moreau décide de passer derrière la caméra. Avec le directeur photo Gilles Porte, elle signe un premier long métrage de fiction, Quand la mer monte (2004), inspiré en partie de son spectacle solo Sale affaire, du sexe et du crime, où elle incarne le personnage principal. Suivra Henri (2013), qu’elle écrit et réalise seule, et où elle tient un rôle secondaire.

Une dizaine d’années plus tard, la revoilà avec La fiancée du poète, qu’elle a écrit avec la collaboration de Frédérique Moreau (qui n’a aucun lien familial avec elle). Si elle tourne peu, c’est d’abord parce qu’elle aime prendre le temps de trouver un sujet qui lui tient vraiment à cœur. Et peut-être aussi à cause du syndrome de l’imposteur.

« Même en étant comédienne, j’ai eu le sentiment d’être usurpatrice, révèle l’actrice, rencontrée à Cinemania en novembre dernier. J’ai toujours vu mon métier comme un jeu, mais je n’ai pas fait d’études. En même temps, mon fil rouge, c’est quand même raconter les gens, le siècle dans lequel on vit depuis que je suis comédienne. »

Dans la foulée, la cinéaste affirme ne pas être cinéphile.

Il y a des coups de cœur qui m’ont marquée, comme Toto le héros, de Jaco Van Dormael ; des tulipes qui dansent sur une chanson de Trenet, c’est le genre de scène que je trouve jouissif.

Yolande Moreau, cinéaste

« J’habite la campagne et je ne vais pas au cinéma toutes les semaines, ajoute-t-elle. Je ne sais pas si ça me donne une plus grande liberté de créer, mais en tout cas, ça ne me complexe plus comme avant. J’ai travaillé 12 ans avec Jérôme Deschamps ; il y a là certainement quelque chose qui m’autorise une écriture pas complètement réaliste. »

PHOTO FOURNIE PAR AXIA FILMS

Mireille (Yolande Moreau) et son faux cerf

Faux cerf et faussaires

À sa sortie de prison, Mireille (Yolande Moreau) revient vivre dans la grande demeure familiale dont elle a hérité, à Charleville-Mézières, sur les bords de la Meuse. Elle y retrouve le cerf de ciment qui lui servait de confident quand elle était enfant. L’idée d’inclure ce « faux cerf » dans le récit est venue à Yolande Moreau en découvrant un cerf en bronze tandis qu’elle visitait des maisons de maître en Belgique.

« Ce que je ne savais pas, c’est que le cerf est un symbole de renouveau et Mireille se reconstruit à partir du moment où elle s’ouvre aux autres. En France, je suis tombée sur cette maison que je trouvais presque trop grande, mais il y avait cette chambre qui avait brûlé ; j’ai alors dit aux décorateurs qu’il ne fallait surtout pas y toucher. J’avais mis dans le scénario, mais je l’ai coupé au montage, que la mère avait brûlé la chambre de sa fille après son départ. Aux spectateurs de trouver leur propre interprétation. »

N’ayant pas les moyens de restaurer la maison avec son salaire de serveuse à la cafétéria de l’école des beaux-arts et la contrebande de cigarettes, Mireille suivra la suggestion du père Benoît (William Sheller) et prendra des locataires. Se présenteront à sa porte Bernard (Grégory Gadebois), jardinier menant une double vie, Cyril (Thomas Guy), étudiant en peinture qui excelle dans la reproduction de tableaux, et Elvis (Esteban), qui prétend être un musicien américain. Surviendra enfin celui qu’elle croyait mort, le grand amour de sa vie, André-Pierre (Sergi Lopez), soi-disant poète et plombier.

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Mireille (Yolande Moreau) et ses faussaires (Esteban, Thomas Guy, Grégory Gadebois et Sergi Lopez)

Une fable ou un conte

« Tout est réaliste au départ, mais pour moi, c’est raconté comme une fable ou un conte. Chaque locataire triche un peu avec la réalité. À la fin, ça devient même un peu surréaliste. Je suis partie de l’histoire d’un faussaire en me disant que c’était un thème génial par rapport à notre siècle, mais je ne voulais pas faire un documentaire parce que ce n’est pas ça qui m’intéresse. Il y a une phrase de Paul Valéry qui m’a marquée : “Sans les faussaires, la vie serait vraiment triste.” Je suis donc partie de quelque chose de joyeux. »

Dans cette joyeuse famille « subversive » que fonde Mireille, qui regrette de ne pas avoir eu d’enfants, on reconnaît la tendresse que porte la cinéaste aux marginaux : « J’ai beau ne pas être cinéphile, j’adore Kusturica et je suis une inconditionnelle de Kaurismaki. Ce que j’aime bien chez eux, c’est que les visages ou les êtres ne sont pas lisses, mais ce sont des gens qui nous touchent. Dans la comédie, il y a quelque chose qui n’est pas lisse que je recherche. »

Quant à savoir si on devra encore attendre 10 ans avant de découvrir son prochain long métrage, Yolande Moreau préfère ne rien promettre : « Je n’en sais rien. Pour l’instant, je n’ai pas d’idée. Ça devient plus dur physiquement de faire des films, j’ai septante ans quand même. Je ne veux pas réaliser un film pour réaliser un film, je fais encore du théâtre, du cinéma. On m’a proposé des rôles pour cette année, alors c’est chouette. On verra... »

En salle le 26 janvier