Lindy a 16 ans, un petit ami, et très envie de coucher avec lui. Jusqu’ici, tout va bien, jusqu’à ce qu’elle apprenne, et de la bouche d’un médecin, que rien ne va exactement se passer comme prévu. C’est qu’elle a un syndrome particulier, est née sans utérus, et a en prime un vagin atrophié.

Sujet cru, vous dites ? Certes, mais sujet vrai. C’est que ce « cauchemar », mis en scène dans Ma vie, mes règles (Fitting In), un long métrage canadien signé Molly McGlynn, avec la comédienne et danseuse Maddie Ziegler dans le rôle principal, est en fait inspiré d’une histoire vraie : celle de la réalisatrice.

Crier sur tous les toits

Vous avez bien lu : Molly McGlynn a appris, elle aussi à l’adolescence, qu’elle était née avec le syndrome MRKH (Mayer-Rokitansky-Küster-Hauser). En gros : que si elle n’avait pas encore ses règles, et ne les aurait en fait jamais, c’était parce qu’elle n’avait pas d’utérus. Elle ne pourrait donc jamais porter d’enfant. Ah oui, et, accessoirement, si elle voulait avoir des relations avec pénétration, il faudrait qu’elle dilate personnellement son vagin. Comment ? À l’aide d’une série de petits godemichés colorés.

« C’est inspiré de mon cauchemar personnel », répète la réalisatrice (remarquée au Festival international du film de Toronto en 2017 pour Mary Goes Round), rencontrée virtuellement. « Il n’y a pas de mystère ici, pas de mystère du tout ! » Après avoir longtemps voulu cacher à la planète entière sa réalité toute particulière (le syndrome touche d’après les estimations environ une femme sur 4500), la voilà qui le crie sur tous les toits, dans toutes les entrevues, et prochainement toutes les salles de cinéma (après un détour par plusieurs festivals).

Pourquoi, au juste ? « Ça me faisait toute la peur du monde, dit-elle, mais j’ai réalisé qu’en tant que réalisatrice, j’avais l’occasion de raconter une histoire qui n’a jamais été racontée avant. »

Et si moi, je ne faisais pas ce film, qui le ferait ?

Molly McGlynn, réalisatrice

Si elle a longtemps eu peur que son nom soit automatiquement associé à sa condition, que ses interlocuteurs devinent de facto tous les détails de son anatomie, tant pis. Aujourd’hui, elle en sort grandie, empowered, comme elle dit. « C’est finalement un cadeau, un privilège, un honneur de pouvoir faire ce film », indique Molly McGlynn, en remerciant ses producteurs d’avoir embarqué dans l’audacieux projet.

Parlant d’audace, la critique du Globe & Mail qualifie Fitting In de plus « audacieux [riskiest] film jamais produit au pays ». « Je suis flattée, réagit la réalisatrice. Je pense qu’en général, au Canada, on fait des films de plus en plus osés. »

Une « traumédie »

Et il fallait oser, justement, pour raconter une histoire aussi intime, avec des scènes suggestives, quoique jamais gratuites. Jamais non plus érotiques, parce qu’il n’y a rien d’érotique à essayer de se dilater froidement l’intérieur, faut-il le signaler. Et la réalisatrice ne se prive pas d’insister. « Ce n’est pas érotique », répète-t-elle. C’est un film pour adolescents, après tout, et franchement toujours dans les limites du bon goût.

PHOTO FOURNIE PAR LA PRODUCTION

Molly McGlynn, réalisatrice

Molly McGlynn qualifie à cet effet Ma vie, mes règles de « traumédie », mêlant les traumas de son adolescence à un humour qu’elle dit « noir » et volontairement décalé. « Il y a beaucoup d’absurdité, dit-elle, comme recevoir une boîte de godemichés médicaux de la part de son médecin... c’est horrifiant ! »

Cette fameuse scène, aussi surnaturelle soit-elle, est aussi l’une des plus vraies du film, calquée sur le passé de la réalisatrice. Également proche de sa réalité : la relation archi émotive avec la mère, tendue et tendre à la fois, dit-elle.

La plus éloignée ? Sans rien divulgâcher, la finale, et le monologue senti de Lindy sur l’acceptation et la diversité, lancé tel un monumental doigt d’honneur à l’hétéronormativité ambiante (étouffante ?). « Ça, c’est ce qui est le plus loin de ma réalité dans le film. Ça, c’est moi, à 38 ans, et ce que je dirais à tous ces petits cons [shit heads], si je retournais à mon école secondaire ! », dit-elle, félicitant au passage le courage de Maddie Ziegler, « icône de la génération Z », d’incarner ce rôle délicat.

PHOTO GERRY KINGSLEY, FOURNIE PAR ENTRACT

Emily Hampshire et Maddie Ziegler sont mère et fille dans Fitting In.

À noter que si elle refuse longtemps d’en parler, tant à sa mère qu’à sa meilleure amie, Lindy finira par se confier à un personnage non binaire et intersexe, Jax, interprété ici par Ki Griffin, également intersexe dans la vie.

C’était important d’avoir quelqu’un d’intersexe dans la distribution.

Molly McGlynn, réalisatrice

« C’est un personnage joyeux qui permet d’avoir une conversation autour de l’intersexualité, et en quoi cela recoupe ou non le syndrome MRKH. Je pose des questions, je ne donne pas de réponses », nuance-t-elle.

On l’aura deviné, Ma vie, mes règles remet finalement et de front en question la soi-disant « normalité », en présentant cet aspect sans doute moins connu de la diversité. « La normalité est une construction très dangereuse, commente Molly McGlynn. Tous les gens qui ont un corps se sont déjà inquiétés : suis-je différent, mais différent par rapport à quoi, et qu’est-ce qu’une différence ? [...] Pendant des années, moi, j’ai parlé d’un trouble de la reproduction. Mais ce n’est pas un trouble ! C’est un état ! »

Qu’on se le dise, dit-elle : « Personne n’est un problème à réparer. [...] Et puis au-delà de tous ces sujets sérieux, mon film raconte surtout une histoire agréable, et tout comme son thème, ce n’est pas ce que vous croyez, dit-elle. Alors, allez donc le voir avec un esprit ouvert ! »

En salle le 2 février