Reconnu comme acteur et cinéaste, aussi à titre de polémiste qui n'hésite pas à s'exprimer très clairement sur les réseaux sociaux, Mathieu Kassovitz est de passage au festival Cinemania pour participer aujourd'hui à une «conversation» ouverte au public. Il présentera aussi Sparring, un film dans lequel il incarne un boxeur en fin de carrière qui accepte d'en prendre plein la gueule pour gagner sa vie. Entretien.

Il est arrivé hier au beau milieu de la journée froide et grise. Quelques heures à peine après être descendu de l'avion, Mathieu Kassovitz nous accordait déjà une entrevue, au cours de laquelle il s'est exprimé avec beaucoup de franchise, comme toujours. Le consensus n'étant pas intéressant à ses yeux, il est d'un bloc, à prendre ou à laisser.

«Pour les gens qui aiment bien discuter et échanger des points de vue, je suis quelqu'un de tout à fait normal, explique-t-il. Il est vrai que, dans le milieu du cinéma, il est plutôt rare de voir des gens prendre position. On essaie d'être le plus propre possible afin de vendre des tickets. Pour moi, vendre un ticket, c'est foutre la merde un peu. C'est ma façon d'être. Des gens m'aiment, d'autres me détestent. C'est ainsi depuis longtemps, car dès que j'ai commencé dans ce métier, j'ai très vite expliqué au monde comment je suis.»

«Je ne suis pas là pour vous caresser dans le sens du poil, ni pour que vous me disiez que je suis beau. Je trouve plus intéressant de taper le poing sur la table, car là, au moins, les choses sont claires.»

Ceux qui suivent le réalisateur de La haine sur les réseaux sociaux, notamment sur Twitter, savent à quel point ses gazouillis peuvent être très divertissants, mais aussi, parfois, très virulents. Ses flèches destinées aux politiciens sont souvent très aiguisées.

«Twitter, c'est la capitale de la punch line, mais en même temps, c'est un peu comme une discussion dans un café, fait-il valoir. Les gens devraient s'exprimer beaucoup plus, mais ils ont peur de le faire parce que c'est difficile de tenir sa place dans la société. Pour un personnage public, c'est sans doute plus facile, mais, encore là, tout dépend de ce que vous vendez. Comme je ne vends rien, je n'ai pas de problèmes. Bien sûr, j'aurais pu mener ma carrière en choisissant des films populaires, devenir millionnaire, faire l'unanimité en faisant des films différents et en étant un peu plus poli avec les gens, mais ça ne correspond pas à ma nature.»

Cinéaste en veilleuse

Depuis quelques années, l'acteur a pris le pas sur le metteur en scène. En plus de décrocher des rôles intéressants au cinéma, comme celui de Sparring, Mathieu Kassovitz est la vedette de la série policière à succès Le bureau des légendes, diffusée à Canal +. Cette présence régulière dans les salons français ne modifie toutefois en rien son rapport à la notoriété.

«Je n'ai pas du tout conscience du regard qu'on peut poser sur moi, dit-il. Ça ne m'intéresse pas vraiment non plus. Je fais partie de ceux dont on reconnaît la tête depuis longtemps, même à titre de metteur en scène. Dans la rue, les gens qui viennent me voir disent toujours des choses gentilles et ça fait plaisir, mais la télé vous donne pratiquement une carte blanche auprès des téléspectateurs, peu importe ce que vous y faites. Là, le cinéaste est en veilleuse parce que ça fonctionne bien pour moi en tant que comédien. Le jour où ça ira moins bien, ça m'emmerdera, mais je retournerai à la réalisation, comme j'ai toujours fait. J'ai déjà eu la chance de faire des films qui m'ont permis de vivre des aventures exceptionnelles.»

Contrer l'ennui

Quinquagénaire depuis l'an dernier, Mathieu Kassovitz a aujourd'hui le sentiment d'être allé, peut-être, au bout de quelque chose. Il envisage aussi la possibilité de changer de vie, de franchir une nouvelle étape. L'idée de «s'installer» dans une carrière suscite en lui une forme de rejet.

«Quand on devient confortable dans un domaine, on s'ennuie très vite, fait-il remarquer. Plus les gens me disent que je suis bon, plus on a envie de me prendre dans les films, plus ces films marchent, plus je m'ennuie.»

«Il devient très facile de s'installer dans un confort bourgeois. Or, dès qu'on s'installe, on devient con, on ne combat plus.»

Le cinéma a été important pour moi parce que j'y suis entré à une époque où il servait aussi à informer. Maintenant, à l'ère des réseaux sociaux, l'information est beaucoup plus accessible, et le rôle du cinéma a changé. On le voit davantage comme un lieu de divertissement.»

Paradoxalement, Mathieu Kassovitz est aujourd'hui moins sévère à l'égard du cinéma français qu'à l'époque où il en dénonçait l'inertie à coups de tweets incendiaires. «Ce cinéma a beaucoup évolué depuis 10 ans, je trouve. Quand je gueulais beaucoup, on en était à plusieurs générations de cinéastes qui se définissaient encore par rapport à la Nouvelle Vague. Je ne piquais pas des gens individuellement, mais plus un esprit collectif. J'aurais aussi du mal à vous nommer un cinéaste de la nouvelle génération qui serait représentatif du renouveau actuel, mais je sens une énergie nouvelle.»

Le rôle de la grande histoire

Depuis une dizaine d'années, Mathieu Kassovitz assure la narration française des miniséries documentaires Apocalypse. La plus récente, Apocalype - La paix impossible, qui couvre la période 1918-1926, sera présentée à RDI demain et jeudi dans le cadre des Grands Reportages. S'il est très honoré d'effectuer ce travail dans ces productions de très grande qualité, l'acteur s'interroge sur la nécessité de retourner à la grande Histoire pour mieux comprendre notre époque.

«De prime abord, il me semble pertinent de retourner à l'Histoire, mais en fait, je crois que je suis en train de changer d'avis. On doit connaître l'histoire du monde, bien sûr, mais ce monde bouge tellement vite que je me demande s'il vaut encore la peine de s'appuyer sur le passé. Dans 100 ans, il n'y aura plus aucun pays souverain, et nous serons tous métissés. C'est là notre futur. Donc, le plus important est de vivre le moment, d'accepter les choses comme elles arrivent, et de s'ouvrir au monde. Il est important de savoir d'où l'on vient pour savoir où l'on va, mais tout va si rapidement que le passé n'est plus vraiment utile pour avancer.»

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Une conversation avec Mathieu Kassovitz aura lieu aujourd'hui à 17 h 30 à la Cinémathèque québécoise. Sparring, de Samuel Jouy, est présenté au Cinéma Impérial ce soir à 20 h 30 et demain à 15 h 15.