Au moment où des rumeurs d’entente à l’amiable dans le dossier d’Omar Khadr déplaisent au gouvernement de Stephen Harper, un nouveau documentaire choc sur l’histoire du jeune détenu canadien à Guantánamo crée des remous. Le documentaire Vous n'aimez pas la vérité: quatre jours à Guantánamo pourrait même être utilisé au procès devant la controversée commission militaire. Compte rendu.

Il avait 15 ans lorsqu’il a été capturé par l’armée américaine, 16 ans lorsqu’il a été interrogé pour la première fois par des agents canadiens, pleurant, réclamant sa mère, refusant de coopérer avec des gens qui, de leur propre aveu, ne pouvaient rien pour lui.

Omar Khadr «n’était qu’un enfant», déploreront plus tard ses ex-compagnons de cellule, ses avocats, des militaires et même d’anciens représentants du gouvernement canadien.

Dans un documentaire percutant présenté jeudi au Festival du nouveau cinéma (FNC) de Montréal, Luc Côté et Patricio Henriquez racontent l’histoire de cet enfant oublié de tous, abandonné à son sort dans la prison américaine de Guantánamo, à Cuba.

Interrogatoire

Les auteurs, qui n’ont reçu aucun financement public pour la réalisation de leur film, utilisent comme trame de fond la vidéo de l’interrogatoire qu’avaient mené des agents du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS) en février 2003. La Cour suprême du Canada avait autorisé en 2008 la diffusion de cet enregistrement.

Dans le documentaire, différents intervenants commentent la vidéo, de l’ex-ministre des Affaires étrangères Bill Graham à la mère d’Omar Khadr, Maha Elsamnah, en passant par Damien Corsetti, ex-soldat américain autrefois surnommé «le monstre» en raison des méthodes musclées dont il usait avec les détenus.

La vidéo de l’interrogatoire elle-même est déjà difficile à regarder, mais les témoignages sont parfois encore plus bouleversants.

«Ces entrevues n’étaient que le prolongement de la torture qu’il subissait», soutient Gar Pardy, ancien directeur général des affaires consulaires au ministère des Affaires étrangères, alors qu’on voit sur la vidéo l’adolescent qui craque et se met à pleurer.

«J’aurais voulu lui donner ma vie à ce moment-là», dit Maha Elsamnah, lorsqu’elle entend son fils l’appeler: «Ya ummi, ya ummi (maman, maman)…»

Pamphlétaire, le documentaire fait le procès des gouvernements tant canadien qu’américain. «J’aurais agi différemment si j’avais su», confie Bill Graham, qui était à l’époque le ministre responsable dans le gouvernement libéral de Jean Chrétien.

«Son cas représente tout ce qui ne va pas à Guantanamo Bay et dans la guerre au terrorisme», ajoute Moazzam Begg, qui a côtoyé Omar Khadr à la prison de Bagram, en Afghanistan, avant son transfert dans l’île de Cuba.

Les ex-compagnons de cellule du jeune Canadien se succèdent, d’ailleurs, et racontent comment ils ont été libérés de Guantánamo sans accusation, sans procès et sans explication pour la plupart, alors qu’Omar Khadr, accusé du meurtre d’un soldat américain en juillet 2002, y est toujours.

«C’est brillant. Quiconque voit ce documentaire et n’a pas de compassion pour Omar Khadr manque d’humanité», a jugé Dennis Edney, un des deux avocats canadiens du jeune détenu.

«N’est-ce pas ironique de voir un personnage aussi sinistre que M. Corsetti, qui reconnaît avoir fait des choses horribles à Bagram, à Guantánamo et à Abou Ghraïb, avoir de la compassion pour Omar Khadr parce qu’il l’a connu lorsqu’il était enfant, alors que le gouvernement canadien et la population demeurent silencieux?» a ajouté Me Edney, très critique.

Longue ovation

À la première mondiale du film, jeudi soir, au FNC, l’émotion était palpable. À la fin de la projection, les deux réalisateurs ont eu droit à une longue ovation. Me Edney, venu d’Edmonton pour assister à la projection, a lui aussi été abondamment applaudi. Sur scène, le coloré avocat a fustigé le gouvernement Harper, qui refuse pour le moment qu’Omar Khadr purge sa peine au Canada.

Il a expliqué qu’il s’apprêtait à partir pour Guantánamo afin de tenter de convaincre Omar Khadr de plaider coupable. «Je vais devoir lui apprendre à mentir», s’est-il indigné. Il a expliqué que, s’il plaide non coupable, son client pourrait se voir condamné à la prison à perpétuité.

Les avocats canadiens d’Omar Khadr ont confirmé jeudi qu’ils tentaient de négocier une entente à l’amiable, dans laquelle le détenu plaiderait coupable en échange d’une peine réduite. M. Edney a aussi évoqué la possibilité d’utiliser le documentaire au procès devant la commission militaire, qui doit reprendre le 25 octobre.

Dennis Edney a montré le documentaire en primeur à son protégé la dernière fois qu’il est allé à Guantánamo, une expérience qu’il qualifie de difficile. «Omar n’a rien dit. Les victimes de torture n’aiment pas en parler. C’était très dur pour lui de regarder ça. Il a eu l’air très triste, a raconté M. Edney à La Presse. C’est un jeune homme de 24 ans qui a revu l’adolescent qu’il était à 16 ans, pleurant, appelant sa mère. Nous, on continue nos vies, mais lui, il est toujours là-bas. Ce n’est pas une histoire drôle.»

La projection du film a été suivie, jeudi, d’une soirée de financement au profit d’Amnistie internationale, qui fait campagne pour le rapatriement d’Omar Khadr au Canada. Une multitude d’artistes, dont le chanteur Paul Piché et la comédienne Andrée Lachapelle, sont montés sur scène pour l’occasion.

- Avec Laura-Julie Perreault

Le documentaire prendra l’affiche le 29 octobre au Cinéma Parallèle, à Montréal. Il sera diffusé à Canal D l’hiver prochain.