Un duel amoureux aux angles multiples, un instantané pop au charme suranné, un exercice de style sur le thème de la déception amoureuse. Avec Les amours imaginaires (à l'affiche vendredi prochain), Xavier Dolan creuse davantage le sillon d'une signature originale et raffine son talent remarquable pour le dialogue. 

Un an après son baptême cinématographique et la consécration cannoise de J'ai tué ma mère, le jeune cinéaste propose une oeuvre de confirmation, d'une étonnante maturité. Humour fin, esthétique soignée, réalisation fluide et ingénieuse. On en oublie qu'il vient d'avoir 21 ans.

D'une idée évoquée pendant un road-trip aux États-Unis avec ses copains Niels Schneider et Monia Chokri, Xavier Dolan a tiré ce récit tragicomique de deux amis, Francis (Dolan) et Marie (Monia Chokri), épris du même garçon, Nicolas (Schneider).

Francis et Marie s'aiment d'un amour fraternel. Ils rencontrent Nicolas, au physique de dieu grec fantasmé à la chevelure d'or bouclée. Leur coup de foudre est simultané pour ce séducteur indolent. Amitiés bousculées, amours contrites.

Moins fulgurant, déchirant et brutal que son prédécesseur, Les amours imaginaires distille le même esprit, le même charme et la même éloquence, tout en témoignant du raffinement de la grammaire cinématographique de Xavier Dolan.

Malgré quelques flottements scénaristiques, ce deuxième film, écrit et réalisé dans l'urgence, est plus abouti, en particulier sur le plan formel. Plus fluide et cohérent, sans rupture de ton, avec une griffe plus affirmée. Comme réalisateur, Dolan a pris dix ans de maturité depuis un an. «Je crois que c'est un film de jeune adulte, dit-il. Un film qui a mon âge.»

L'âge de sa vieille âme, peut-être. Malgré les apparences, Dolan est d'une sagesse qui tranche avec son hyperactivité. Contraint de renoncer pour quelque temps à un projet ambitieux de long métrage coproduit avec la France (Lawrence Anyways, qui mettra en vedette Louis Garrel et Suzanne Clément), le jeune cinéaste a écrit et réalisé Les amours imaginaires en trois mois, l'automne dernier.

«Ce n'était pas possible d'attendre trois ans pour faire un deuxième film, dit-il. Et de faire un film au mandat aussi dense, et aussi émotif, que J'ai tué ma mère. Trois ans pour me faire dire que le film ressemble à l'autre mais en moins bien? Que c'est un ersatz de J'ai tué ma mère? Ça ne me tentait pas. La seule solution, c'était de faire quelque chose de foncièrement différent. Quelque chose de rapide aussi.»

Dolan n'a donc pas sollicité les institutions pour des subventions, a réinvesti l'argent des prix remportés dans les festivals étrangers grâce à J'ai tué ma mère et a sollicité des investisseurs privés. Les amours imaginaires a été tourné avec un modeste budget de 600 000$, le double de celui de J'ai tué ma mère et le dixième de celui prévu pour Lawrence Anyways.

«Cette fois-ci, dit-il, comme on avait plus de budget, il y a forcément des choses que je n'ai pas voulu répéter. Mon seul apprentissage possible, comme je ne vais pas à l'école, ce sont les erreurs de mes films. De film en film, j'espère grandir. De regarder J'ai tué ma mère et de ressentir une haine épidermique envers certaines maladresses et faux pas, elle est là mon éducation. La mauvaise éducation! (rires)»

L'épreuve du deuxième film

Xavier Dolan, lui-même le plus sévère juge de J'ai tué ma mère, a certainement eu envie de conjurer le sort du «deuxième film», surtout après le succès retentissant du premier (plus d'une trentaine de prix internationaux, dont trois à Cannes, une sélection au César du meilleur film étranger, plus d'un million de dollars au box-office canadien, etc.)

«Ma grande angoisse, c'était que l'on dise que le film est inférieur à J'ai tué ma mère. S'il n'y a pas de calcul derrière l'approche artistique du film, il y en a un derrière l'approche scénaristique, admet-il. Il y avait une volonté de faire un antifilm. À l'image des Fragments d'un discours amoureux, on ne peut pas y chercher une histoire. C'est une histoire sans histoire. Il n'y a pas de rencontre entre les personnages. C'est une errance. Un mirage. Ce film-là, c'est un film sur la cristallisation du désir. Il ne faut pas chercher de résolution des conflits.»

On le constate: le cinéaste va au-devant des critiques. Il n'y est pas du tout insensible. Au Festival de Cannes, qui l'a littéralement adopté et où Les amours imaginaires a été présenté en sélection officielle le mois dernier (dans la section Un certain regard), son film a été généralement bien reçu. On lui a cependant reproché de favoriser la forme au détriment du fond.

Dolan multiplie en effet les cadrages spectaculaires, les mouvements de caméra audacieux et fait un usage particulièrement abondant du ralenti. «Le ralenti, c'est un privilège que seul octroie le cinéma, dit-il. On s'arroge un droit qu'on n'a pas dans la vie. Pourquoi s'en priver? Je trouve que c'est à l'image de la suspension du temps quand on est en amour. La raison pour laquelle le film est tellement porté sur l'esthétisme, sur la musique, les costumes, c'est que ce ne sont pas des choses qui interviennent dans l'amour. Ce sont des éléments visuels, graphiques, plastiques, et on reste sur cette surface-là, parce qu'il n'y a pas de plongée. C'est un film sur le mensonge, celui que l'on se raconte à soi-même, et sur l'artifice.»

La source de tous ces mensonges est le personnage de Nicolas, qu'interprète avec retenue Niels Schneider. Un personnage complexe et ambigu, suscitant le désir, inspiré par le Tazio de Mort à Venise de Visconti. «Il est comme tellement de jeunes qui testent sans arrêt leur pouvoir de séduction», croit Niels Schneider, qui jouait l'amant du pensionnat de J'ai tué ma mère.

«Ce n'est pas un être superficiel, dit Xavier Dolan. Il a des défauts et des qualités. Évidemment, c'est un bourreau des coeurs. Avec un physique pareil, il n'a tellement pas d'effort à faire. C'est un don Juan à la fois dépendant affectif. Il a besoin que tout le monde l'aime mais il ne peut aimer personne d'autre que lui-même. Il est complexe, c'est seulement la rencontre qui ne l'est pas. C'est une histoire profondément banale. C'est un film sur une génération, mais le dialogue est intergénérationnel.»

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