Les visiteurs qui s'aventurent sur Hollywood Boulevard sont accueillis par plusieurs choses, nous dit notre correspondant. Les étoiles gravées sur le trottoir. Les squeegees qui quêtent. Les boutiques de souvenirs. Les restaurants trop chers. Et les super-héros, ces emblèmes non officiels d'Hollywood, qui se laissent prendre en photo pour un dollar ou deux. Voici le compte rendu d'un après-midi passé avec eux.

Son maquillage coule, mais il s'en balance: le Joker marche entre les passants à la recherche d'un groupe d'enfants ou de filles.

«Les enfants et les filles. Ce sont eux qui me font vivre, dit-il. Ce sont eux qui paient mon loyer.»

Le Joker arrive face à quatre jeunes Asiatiques d'environ 16 ans. Il arrête net, lance un rire perçant et fait claquer la carte à jouer qu'il tient à la main. Son sourire laisse voir une rangée de dents blanches. Ses yeux semblent vouloir sortir de sa tête.

«Wow! Est-ce que je peux pendre une photo avec toi?» demande l'une des filles.

Le Joker s'approche et fait mine de vouloir l'étrangler. Un appareil photo apparaît. Le flash illumine le visage barbouillé du Joker et le sourire de la jeune femme.

Celle-ci ouvre son portefeuille, sort deux billets de 1$ et les pousse dans la main du Joker. Il se penche et la remercie avec un grand salut théâtral. Les filles s'en vont en riant. Le Joker met les billets de banque dans sa poche.

Les touristes qui s'aventurent sur Hollywood Boulevard, à Los Angeles, sont accueillis par plusieurs choses. Les étoiles gravées sur le trottoir. Les mendiants. Les boutiques de souvenirs. Les restaurants trop chers. Et les superhéros qui veulent se faire prendre en photo.

Vendredi dernier, on comptait: un Joker, un Michael Jackson, deux Jack Sparrow, un Sponge Bob, une Catwoman, un fou de Dieu qui récitait des passages de la Bible à la foule indifférente.

Les superhéros n'ont pas bonne réputation. N'importe qui peut se lever un matin et décider d'aller faire Batman au coin d'Hollywood et d'Highland, devant le Chinese Theatre, le cinéma devant lequel Charlie Chaplin, Frank Sinatra, Humphrey Bogart et bien d'autres ont laissé les empreintes de leurs mains dans le ciment.

Certains superhéros sont soûls. D'autres deviennent agressifs quand les touristes ne leur laissent pas de pourboire. Le site YouTube présente une vidéo amateur particulièrement dérangeante, où Batman et Spiderman font équipe pour frapper et insulter un squeegee obèse assis sur le trottoir.

«La police s'en vient, Batman!» crie une personne de la foule qui assiste à la scène.

Le Joker essaie de ne pas penser à ça. Acteur à temps partiel, il dit faire de 150 à 300$ par jour à arpenter la rue pour épater les touristes.

«C'est sûr qu'il y a des fous qui font ce métier, dit-il. Moi, j'essaie d'être gentil avec tout le monde. Le truc, c'est de ne jamais demander d'argent. Et de ne pas être impatient ou agressif.»

Question de se démarquer, le Joker, qui dit s'appeler Joe, travaille parfois en tandem avec «deux ou trois Batman» différents.

Aujourd'hui, il travaille seul. «C'est une petite journée, jusqu'ici, dit-il. Mais je suis le seul Joker, alors ça va bien pour moi. J'ai fait 60$ depuis une heure.»

Il montre les billets qui gonflent la poche de sa veste. Son sourire est authentique, cette fois.

Le rêve à Hollywood

Le capitaine Jack Sparrow a des tresses dans la barbichette, des dents en or, des bottes de cuir et un long manteau de denim qui vole derrière lui quand il marche.

Jack Sparrow s'appelle en fait Bill Rose. Il possédait une petite compagnie d'entretien paysager à Austin, au Texas. Mais la sécheresse des dernières années l'a mis en faillite, et Bill Rose a décidé de tenter sa chance comme acteur. Il a débarqué à L.A. au début du mois de juillet.

«C'est moi qui ai confectionné mon costume, dit-il fièrement. J'ai vu le Pirate des Caraïbes au moins 300 fois pour m'imprégner du personnage. Avant, je faisais Jack Sparrow dans les fêtes d'enfants. Maintenant, c'est ma vie.»

M. Rose regarde les enfants en faisant un drôle de tic avec son visage, un peu comme quelqu'un qui essaie de chasser une mouche sans utiliser ses bras.

Durant ses trois premiers jours à Hollywood, M. Rose a dormi dans sa voiture. Il loue maintenant une chambre à la semaine. Il a 42 ans et s'inquiète pour l'avenir.

«À mon âge, c'est difficile de commencer dans le métier, dit-il. Mais je ne me plains pas. Je suis à Hollywood, maintenant. Je réalise mon rêve.»

Un jeune garçon blond tire sa manche. Il tient un billet de 1$. Ses yeux sont agrandis par la peur. Derrière lui, ses parents sourient et ont déjà leur appareil photo à bout de bras.