Les vagues de dénonciations qui déferlent sur les réseaux sociaux depuis quelques années sont largement considérées comme un puissant moteur de changement. On salue cette courageuse prise de parole collective… en oubliant parfois un peu vite les individus qui en font les frais. Voici l’histoire de deux étudiants dénoncés en ligne, puis frappés d’ostracisme à l’université. Des affaires complexes, qui soulèvent des questions difficiles. À commencer par celle-ci : à force d’être conspué, harcelé ou intimidé, un bourreau peut-il se transformer en victime ?

Le tribunal populaire

Il était passé minuit quand la sonnerie du téléphone a retenti dans le chalet endormi. C’était le beau-frère de Carole. Le ton grave. Il parlait d’une liste diffusée sur le web.

Une liste noire d’agresseurs sexuels.

« Mon chum m’a réveillée. Je n’avais aucune idée c’était quoi, ça. On a cherché. On a trouvé la liste. »

C’était sur Facebook. La page s’appelait « Dis son nom ». Il y en avait des centaines. Celui de leur fils était là. Émile.

C’était en juillet 2020, quand la dernière vague de dénonciations d’inconduites sexuelles a déferlé sur le Québec. Beaucoup de personnalités publiques avaient été épinglées. Encore plus d’inconnus, souvent de jeunes hommes. Émile, 20 ans à peine, faisait partie du lot.

Comme il travaillait comme sauveteur à la piscine municipale, il n’était pas au chalet. Il passait l’été à la maison.

Cette nuit-là, ses parents ont paniqué. Ils ont fait leurs bagages et sont rentrés à Montréal en quatrième vitesse. À 2 h 30 du matin, ils ont trouvé Émile assis sur le sofa du salon, l’air hagard.

« Ça faisait plus de 24 heures qu’il n’avait pas dormi. Il ne s’était pas lavé, il n’avait pas mangé. Je ne l’avais jamais vu comme ça », raconte sa mère.

Carole a aussi vu une chose qu’elle n’avait encore jamais vue dans le visage de son garçon. Quelque chose qui ne l’a toujours pas quitté, un an et demi plus tard.

« Ce n’était pas de l’anxiété, un mot qu’on utilise beaucoup par rapport aux gens de cette génération. On dit qu’ils sont stressés, qu’ils ont des angoisses de performance. Moi, ce que j’ai vu, c’est de la peur. »

* * *

Émile travaillait à la piscine quand il a reçu le texto. « Ton nom est sorti sur une liste. Va voir ça. »

C’était deux jours avant le coup de téléphone à ses parents, au chalet. Émile a consulté la liste. Son nom était bien là. On le disait coupable d’inconduites sexuelles. De quelle nature ? Contre qui ? Quand ? Mystère.

Peu après, Émile a reçu un appel. Les membres du conseil exécutif de son association étudiante, à l’UQAM, s’étaient réunis en son absence. Ils avaient décidé de le destituer.

Et ils allaient l’annoncer sur Facebook.

Émile a protesté. « Je n’ai rien fait ! Mon nom a été mis sur un babillard sur l’internet. Vous ne pouvez pas vous baser là-dessus pour rendre votre jugement ! »

Les membres du conseil exécutif n’ont rien voulu entendre ; leur décision était prise. Le lendemain, ils ont annoncé la destitution d’Émile de son poste de responsable aux affaires externes « à la lumière des allégations portées contre [lui] sur la page Facebook Dis son nom ».

Ici, on ne parle pas de projecteurs braqués sur des témoignages accablants. On parle d’accusations anonymes diffusées sur une page Facebook anonyme.

Et c’est éclairés de cette faible lueur que des étudiants de l’UQAM ont cloué l’un des leurs au pilori.

Sans autre forme de procès.

« Il n’est pas dans l’intention ni dans le pouvoir de [l’association] d’enquêter sur la présente situation », ont-ils précisé dans leur message Facebook.

Les faits n’avaient pas d’importance. L’acte d’accusation, non plus. Un nom publié sur le web leur suffisait pour déclarer Émile coupable.

* * *

Après son retour du chalet, Carole n’a pas tardé à confronter son fils : « Là, Émile, je ne veux pas de squelettes dans le placard. Qu’est-ce qui est arrivé ? »

Émile a juré qu’il n’était rien arrivé. Sa mère l’a cru.

Le jeune homme a dit avoir beaucoup réfléchi à ses relations passées sans trouver, sans comprendre.

« J’ai commis des erreurs, comme n’importe qui. J’ai mal géré des émotions. Mais je n’ai jamais été incertain d’un consentement. Je n’ai jamais été violent. Je n’ai jamais été comme ça. Je ne suis pas ça… »

Sa voix s’étrangle.

Le message Facebook de l’asso de l’UQAM l’affectait plus que la liste elle-même, puisqu’il s’adressait à des étudiants qu’il côtoyait sur le campus.

Ses parents ont contacté un avocat. Après avoir reçu une mise en demeure, l’association a retiré son message – et le flot de commentaires haineux qu’il avait engendrés.

« Mon fils a eu la chance d’avoir des parents qui avaient les moyens financiers de l’appuyer. Mais ce n’est pas tout le monde qui a ça », souligne Carole, qui a dû payer près de 4500 $ en frais d’avocat. Jusqu’à présent.

Elle a envoyé des copies de la mise en demeure aux dirigeants de l’UQAM pour les informer de ce qui se tramait au sein de leur établissement. Elle n’a pas eu de réponse.

* * *

Émile n’a jamais remis les pieds à l’UQAM.

J’avais peur d’y retourner. J’avais vraiment peur. J’avais peur que mon nom soit affiché en public, que des gens m’intimident et que la situation devienne hors de contrôle…

Émile

Il s’est inscrit à l’Université de Montréal.

La peur, elle, ne l’a pas quitté.

« Le plus désarmant, c’est que tu ne sais pas d’où ça vient, explique sa mère. En général, quand tu es accusé de quelque chose, tu peux essayer de te défendre. Mais là, on n’a aucune idée d’où ça vient. »

Ça pourrait changer. En mars 2021, une juge de la Cour supérieure a ordonné aux deux administratrices de la page « Dis son nom » de révéler à Jean-François Marquis l’identité de celles qui l’ont dénoncé. M. Marquis, qui poursuit les administratrices en diffamation, cherche à prouver que ces dernières n’ont rien vérifié avant d’ajouter son nom à la liste.

Dans sa décision, la juge a cru bon rappeler ce principe élémentaire : le demandeur a le droit de « savoir qui lui reproche quel geste ».

Les deux administratrices ont fait appel de la décision, qui obligerait l’une d’elles à renoncer à son anonymat.

* * *

J’ignore si Émile a commis des inconduites sexuelles. Tout comme l’ignorent les étudiants qui l’ont jugé coupable. Mais que les hommes (et les femmes) inscrits sur la liste Dis son nom – toujours active sur le web – soient coupables ou non, c’est la méthode qui m’effare.

Je me souviens, lorsque j’étais correspondante à Londres, l’horreur que m’avait inspirée une campagne lancée par le News of the World. À l’époque, c’était l’un des pires tabloïds d’Angleterre, ce qui n’est pas peu dire.

La campagne avait été intitulée Name and Shame. Le tabloïd avait diffusé les noms de tous les pédophiles allégués du pays. Il y avait eu des émeutes. Des autos renversées, incendiées. Des appartements criblés de pierres par des bandes de justiciers autoproclamés.

Il y avait eu des erreurs sur la personne. Des hommes qui portaient le même nom que les pédophiles de la liste avaient été montrés du doigt, humiliés, conspués. Il ne manquait que les torches et les fourches.

Tout le monde détestait les pédophiles. Mais beaucoup détestaient aussi cette campagne de délation. Parce que les dérapages étaient inévitables. Et parce qu’il y avait quelque chose de répugnant à cette justice populaire, violente, revancharde.

Vingt ans plus tard, j’avoue que j’ai un peu de mal à comprendre comment la publication d’une liste d’hommes à ostraciser – sans preuves, sans explications – peut être perçue comme un progrès.

C’est bien ce qui se passe. Les vagues de dénonciations qui déferlent depuis quelques années sur les réseaux sociaux sont largement considérées comme un puissant moteur de changement.

On salue cette courageuse prise de parole. On souligne qu’elle répond aux besoins des victimes et qu’elle lève le voile sur un phénomène qui dépasse les individus.

On parle d’un électrochoc douloureux, mais nécessaire pour faire évoluer la société.

Je n’en doute pas une seconde. Le mouvement #moiaussi a libéré une parole collective. C’est une avancée indubitable. Le train est en marche, et il ne s’arrêtera pas.

Ce qui me dérange, c’est qu’on fait semblant de ne pas voir les individus écrasés au passage.

* * *

Émile a l’impression d’être marqué au fer rouge.

Son nom a disparu de la liste, en même temps que des centaines d’autres, peu après la décision de la Cour supérieure. Tout d’un coup. Sans explication.

Son nom a disparu, mais Émile sait que rien ne disparaît jamais vraiment de l’internet.

« Chaque fois que je rencontre quelqu’un, je ne sais pas s’il va trouver de quoi ou s’il a entendu de quoi… C’est toujours épeurant de faire une nouvelle rencontre et de se dire : il va-tu voir de quoi en ligne, il va-tu penser que… »

Sa voix s’étrangle, encore. Il ne termine pas sa phrase.

* * *

Carole accueille avec soulagement la création prochaine d’un tribunal spécialisé en matière de violences sexuelles au Québec. Il faut tout faire, croit-elle, pour mieux soutenir les véritables victimes. Tout faire pour les convaincre de ne pas se faire justice elles-mêmes.

« Les médias sociaux ne peuvent pas servir d’exutoire pour ce genre d’évènements là, parce qu’on crée des victimes collatérales et on détruit des vies. »

Autrefois, avant toute cette histoire, Carole soutenait sans réserve le mouvement #moiaussi. Plus maintenant. Elle continue de se décrire comme une féministe engagée.

Mais elle est aussi une mère au cœur brisé.

Condamné à la mort sociale

Septembre 2021. C’est jour de rentrée à l’UQAM. Tout le monde est nerveux, mais personne autant que Mathias. Il sait ce qui l’attend. « Le matin, on est en cercle et on se présente. Quand mon tour arrive, je sens un froid. Je sens les regards. Les gens ont l’air de se dire : “ C’est lui, le gars qu’il faut éviter. " »

Pour Mathias, ça ne va pas s’arranger.

Quelques jours avant la rentrée, une étudiante avait consulté les noms de ses futurs camarades de classe, sur Facebook. Elle s’était rappelé avoir vu celui de Mathias sur le web.

Une jeune femme l’avait accusé d’inconduites sexuelles, lors de la vague de dénonciations de l’été 2020.

L’étudiante ignorait de quoi Mathias avait été accusé. Elle avait tout de même alerté les filles de sa future cohorte, qui s’étaient réunies dans un parc pour discuter de l’affaire.

« La conclusion, c’était qu’on n’était pas à l’aise qu’il soit là. On avait de la difficulté à concevoir qu’on aurait à faire notre formation de trois ans avec lui », raconte Marie, l’une d’elles.

Les filles, bientôt soutenues par les gars, avaient décidé d’exclure Mathias de leur cohorte.

* * *

C’est l’histoire d’un dérapage.

L’histoire de Mathias, un étudiant dénoncé en ligne, puis frappé d’ostracisme à l’université. Condamné sans procès à la mort sociale.

L’affaire a été dévoilée en décembre par le Montréal Campus, le journal étudiant de l’UQAM, sous la plume de Fannie Arcand.

Lisez l’article de Fannie Arcand

Une citation, attribuée à un étudiant souhaitant l’expulsion de Mathias, m’a fait bondir. « Est-ce que j’ai besoin de savoir exactement ce qu’il a fait pour que mon malaise soit justifié ? »

Il me semble que oui. Il me semble que tu as besoin de le savoir. D’être sûr. Pas de te fier à la rumeur des réseaux sociaux pour bousiller la vie d’un gars.

J’ai voulu comprendre. J’ai interviewé cinq étudiants de la cohorte, dont Mathias. Et… c’est compliqué. Beaucoup plus compliqué que ça.

Dans le cas de Mathias, on ne parle pas de vagues rumeurs. Des étudiants connaissent ses présumées victimes. Que fait-on, alors ? Que peut faire l’UQAM, où il a un comportement exemplaire ? Les étudiants peuvent-ils se faire justice eux-mêmes ? Un bourreau peut-il se transformer… en victime ?

Il n’y a pas de réponses simples à ces questions. Or, les universités sont de plus en plus souvent aux prises avec des conflits semblables. À l’UQAM, on doit gérer ces crises depuis les premières vagues de dénonciations sur le web.

* * *

Mathias savait que la rentrée serait houleuse. « Je m’étais vraiment préparé pendant tout l’été mentalement, à me dire : ça va s’en venir, qu’est-ce que je vais faire… »

Il le savait, parce que le bruit courait depuis longtemps. Il avait été dénoncé par des élèves du cégep. Il était question, entre autres, d’une fille qui aurait refusé ses avances, à la fin d’un party. Il l’aurait plaquée contre un mur et l’aurait agressée.

D’autres filles ont dénoncé ses inconduites sexuelles. « Moi, Mathias, je le connaissais au cégep. Je connais les victimes de ce gars-là », dit Jean, étudiant de la cohorte de l’UQAM. Les filles se sont confiées à lui, mais aucune n’a porté plainte à la police.

Mathias ne nie rien, mais ne confirme rien non plus. Il fait une thérapie depuis deux ans. Il travaille sur lui, comme on dit. Il parle de sa « reconstruction sociale ».

* * *

Très vite, Mathias renonce à se faire des amis à l’UQAM.

Il tente de se faire le plus petit possible. Aux pauses, il s’éloigne du groupe pour lire dans son coin. « Je leur dis que je suis là pour étudier et pour rien d’autre. »

Mais ce n’est pas suffisant. « Nous, notre point, c’est qu’en ce moment, on ne consent pas à travailler avec toi et que toi, tu insistes », lui réplique Évelyne.

Les étudiants veulent un safe space, un espace sûr pour travailler. « On pense tous que la rédemption est une chose possible, que quelqu’un peut changer », assure Jean. Mais pas dans ce contexte-là.

C’est que le programme de la cohorte est axé sur la performance artistique. Les étudiants ne passent pas leur journée assis derrière un pupitre. Ils ont des contacts physiques. « Des fois, tu travailles couché par-dessus quelqu’un d’autre », dit Évelyne. « Pour nous, c’est essentiel d’avoir ce safe space là, mais personne ne veut nous écouter », regrette Marie.

* * *

Dans le but avoué de faire expulser Mathias, des étudiants contactent le Bureau d’intervention et de prévention en matière de harcèlement (BIPH) de l’UQAM.

Une intervenante du BIPH sollicite alors une rencontre avec Mathias. « J’ai peur de me faire renvoyer, de devoir me battre pour rester alors que j’ai le droit d’étudier, j’ai le droit d’être là, j’ai mérité ma place. »

Mais il n’est pas renvoyé. Au contraire, il est soutenu par l’UQAM.

Pour des raisons de confidentialité, la directrice du BIPH, Maude Rousseau, ne peut commenter le cas de Mathias. Elle souligne que les politiques de l’UQAM sont régies par les principes de justice naturelle.

« Suspension, expulsion, congédiement d’un employé… On ne peut pas aller là si on n’a pas entre les mains des faits qui nous permettent d’agir en conséquence. »

Et dans le cas de Mathias, il n’y a pas de faits. Pas de plainte ni de témoignage direct. Il n’y a que des étudiants qui ont entendu des choses. Et qui sont mal à l’aise.

* * *

Puisque l’UQAM ne peut rien pour eux, les étudiants s’arrangent par eux-mêmes pour tenter d’évincer Mathias. Ils tentent de le pousser à abandonner.

Ça commence par le boycottage d’un cours, le 28 septembre. « Je ne sais pas quelle forme ça va prendre, dit Mathias. Je m’attends à ce que les 19 personnes de ma cohorte fassent du piquetage devant la classe avec des affiches. »

Ce matin-là, la salle de cours est vide. Le prof lui remet une lettre signée des étudiants qui refusent sa présence.

« La sécurité émotive du groupe est importante, lit-on dans la lettre. Nous ressentons un immense malaise et un inconfort qui évoquent des traumatismes et perpétuent les violences psychologiques associées à une telle situation. »

* * *

Quelques jours plus tard, les étudiants doivent faire une présentation en équipe. Mathias se présente seul. Son coéquipier n’a pas voulu collaborer avec lui.

Il se rend à l’avant de la classe, ajuste ses feuilles. « Je lève le regard et… il manque le quart des élèves. »

Furieux, le prof décrète une pause, attend que les étudiants reviennent, puis demande à Mathias de reprendre son exposé. « Je suis sous le choc. Je n’ai aucune idée de ce que je fais. Je n’arrive pas à me concentrer. »

Les étudiants regardent ailleurs, ne l’écoutent pas. « Cela fait péter un câble au prof, raconte Évelyne. Il nous dit que ce n’est pas acceptable de travailler dans ce climat-là. »

En sortant de la classe, Mathias s’écroule dans le corridor. Deux étudiantes l’approchent pour s’excuser, en larmes. Elles réalisent qu’elles sont allées trop loin.

* * *

Le lendemain matin, quatre membres de la direction de l’UQAM déboulent en plein cours pour passer un savon aux étudiants. « On nous dit : “ Arrêtez d’agir comme des enfants, vous devez agir comme des adultes ” », raconte Jean.

« C’est très difficile d’encaisser ces mots-là parce qu’on pensait justement qu’agir comme des adultes, c’était essayer de faire du monde un monde meilleur. »

« On se fait vraiment engueuler, dit Évelyne. C’est violent. Nous, tout ce qu’on voulait, c’est dire qu’on n’était pas bien et qu’on avait besoin d’aide. »

Quatre étudiants sont convoqués par la direction. On les prévient que leur comportement compromet « le maintien d’un climat d’études sain et sécuritaire ». On les menace de les suspendre pour 20 jours.

Les étudiants n’en reviennent pas : l’UQAM considère que ce sont eux, le problème. Eux, les intimidateurs. Ils sont convaincus que l’université se trompe de cible.

« Je fais énormément d’insomnie à cause du stress, dit Jean. Mettre des balises personnelles, établir mes limites, c’était nécessaire. Et me faire dire que mes limites, c’est de l’intimidation, je trouve ça un peu poussé. »

« Là où cela a dérapé, c’est quand on s’est mis à nous accuser de harcèlement alors qu’on voulait juste se protéger, dit Évelyne. On a clamé haut et fort qu’on n’était pas bien dans nos cours. Cela s’est reviré contre nous. »

* * *

« Il y a un moment où les personnes qui peuvent s’imaginer être victimes peuvent devenir des bourreaux, et celles qui étaient identifiées comme bourreaux, au fond, deviennent des victimes », observe Maude Rousseau, directrice du BIPH.

Lorsque de tels moments surviennent, l’UQAM doit recadrer les choses. « On ne peut pas permettre à un groupe de faire du mobbing [harcèlement moral], par exemple. Ce n’est pas possible. L’institution ne peut pas permettre ça. En vertu de nos politiques, on n’a pas le choix d’intervenir et de faire cesser. »

Dans le cas de Mathias, pourtant, rien n’est réglé, selon Marie. La cohorte est toujours en crise. « Il y a tellement de détresse qui a été causée par ça. Cette situation nous rend malades. Une amie fait des crises de panique. »

Maude Rousseau assure que, lorsqu’une crise semblable éclate sur le campus, l’UQAM ne prend pas parti ; elle prend soin de tout le monde.

« Ça fait partie de notre quotidien de soutenir des personnes qui expriment des malaises, dit-elle. On va les référer vers des ressources externes, s’assurer qu’il y a un filet psychosocial pour les soutenir. »

* * *

Mathias a fini par se faire un ami au sein de la cohorte.

« Il y a une partie de la classe qui ne veut pas être en contact avec lui parce qu’ils ne veulent même pas prendre le risque de l’humaniser », se désole François.

Sans connaître les détails, il croit savoir que Mathias a commis un geste illégal, « clairement au-delà du consentement ».

Il n’a pas l’intention de le défendre. Mais il n’a pas davantage l’intention de suivre le mouvement collectif. Il refuse d’être juré dans ce tribunal populaire.

« On a un système de justice pour ça. On n’a pas à se faire justice nous-mêmes. »

* * *

Décembre 2021. Pour la première fois, Mathias effectue un travail de fin de session avec François et une étudiante. Cette dernière raconte aux autres que ça se passe bien, que Mathias est ouvert à ses idées.

Et tout le monde est surpris.

« C’est comme s’ils s’attendaient à ce que je sois un être lubrique, soumis à ses pulsions, prêt à sauter sur la prochaine proie. Je ne suis pas ça », proteste Mathias.

« Le problème, c’est que dès le début, avant même de m’avoir rencontré, les gens de ma cohorte m’ont complètement déshumanisé. Moi, ce que je veux leur faire comprendre, c’est qu’il y a quelqu’un derrière l’étiquette. »

Les prénoms des étudiants ont été modifiés.

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