Cette place lui revenait ! Fort heureusement, ses patrons ont vu les choses ainsi. Il y a un mois, Claudine Bourbonnais a été nommée cheffe d’antenne du Téléjournal week-end de Radio-Canada. Que sait-on de cette femme qui entre chez nous depuis plus de 30 ans pour nous livrer l’actualité du jour ? Pas grand-chose. Il n’en fallait pas plus pour que je lui propose de prendre un latte en la bombardant de questions. Un exercice difficile pour elle.

J’ai toujours été fasciné par les gens timides qui font un métier public. Quand on les rencontre dans la vie de tous les jours, on peine à retrouver la personne que l’on connaît par la télévision, le théâtre ou le cinéma. Cette impression, je l’ai eue avec Claudine Bourbonnais qui m’a reçu chez elle.

Arrivé avec quelques minutes d’avance (ma spécialité), j’ai été accueilli par un torrent d’excuses alors qu’elle rangeait son aspirateur. Son appartement est impeccable. Le décor est soigné. Sur sa table de salon trônent des livres d’artistes, le dernier essai d’Alain Saulnier et un roman de son idole, Joyce Carol Oates.

« C’est en la lisant que j’ai trouvé ma voix comme auteure », dit Claudine Bourbonnais. En effet, celle qui nous parle du conflit en Ukraine ou de la pandémie par l’entremise de reportages et de spécialistes est aussi romancière. Son roman, Métis Beach, paru en 2014, a été bien accueilli, notamment par mon ancienne collègue Nathalie Petrowski qui avait été impressionnée par la qualité de son écriture. Elle en prépare un second, m’a-t-elle confié.

On est tenté de croire que tout sourit à cette femme et que cela est ainsi depuis sa naissance à LaSalle et son adolescence à Brossard.

Je n’ai pas aimé être enfant. J’avais l’impression d’être dans une salle d’attente. J’avais hâte d’être adulte, d’avoir ma maison, d’avoir une carrière.

Claudine Bourbonnais

Cette jeune fille effacée, dont le père était chasseur de têtes et la mère attachée de presse du monde des arts visuels, a toujours aimé être dans le monde des connaissances. « J’aimais le contact avec ces adultes qui détenaient un savoir que je n’avais pas. Avec des copines, on rendait visite à une institutrice la fin de semaine ou le soir après l’école. »

Vers l’âge de 17 ans, des amis qui vivaient à Montréal lui donnent l’envie de venir étudier dans la « grande ville ». Elle fait les démarches nécessaires en vue d’être acceptée au collège Brébeuf. « Je faisais deux heures de trajet le matin et deux heures le soir. »

Dans un de ses cours, un prof entreprend de décortiquer le conflit complexe qui frappe à ce moment le Liban. Il le fait si bien que la jeune Claudine devient accro. Elle s’inscrit en sciences politiques à l’Université McGill et se spécialise dans le monde arabe.

Un soir, elle mange au restaurant avec son père et un ami de celui-ci. Au beau milieu du repas, elle fait part de son désir de travailler en diplomatie et en politique internationale, particulièrement au Moyen-Orient. « N’y pensez pas, vous êtes une femme », lui dit l’ami de son père.

PHOTO DAVID BOILY, LA PRESSE

Claudine Bourbonnais

Ça m’a ébranlée. C’était la première fois que quelqu’un me disait que, parce que j’étais une femme, je ne pouvais pas choisir ce que je voulais faire. Avant de le quitter, j’ai dit à mon père que cet homme venait de me procurer la raison dont j’avais besoin pour aller plus loin.

Claudine Bourbonnais

Elle part donc pour l’Angleterre afin d’y faire sa maîtrise à l’Université Durham.

C’est au cours de ces deux années qu’elle découvre le journalisme. Pour son mémoire, elle a l’idée de faire une étude comparative des couvertures médiatiques britannique et américaine consacrées à la question palestinienne, entre 1967 et 1987.

« Comme l’internet n’existait pas, je partais en train de Durham pour me rendre à Londres, se souvient-elle. Je me louais une petite chambre et je passais des jours et des jours à visionner des microfilms de la St. James Library. Ça me semble tellement loin, tout ça », ajoute-t-elle en riant.

De Londres à Edmonton

À son retour au Québec, en 1989, elle se met à la recherche d’un emploi dans le monde des médias. On lui parle d’un poste de reporter à la station radiophonique de Radio-Canada, à Edmonton. Elle réussit les examens avec succès et met le cap sur l’Alberta. Sur place, elle fait la connaissance de deux autres jeunes débutants : Philippe Schnobb, qui deviendra journaliste et présentateur de nouvelles à la télévision de Radio-Canada, à Montréal, avant d’occuper le poste de président de la STM, et Isabelle Craig, animatrice à Ici Première. « Ce furent des années formatrices où j’ai noué des amitiés solides », dit Claudine Bourbonnais.

Elle revient à Montréal en 1991 où on lui propose d’être journaliste à l’émission Montréal Express avec Gérard Gravel, puis avec Michel Desautels et Jean Dussault. Son incursion dans le monde de la télé se fait avec l’émission Bon matin qui était présentée tous les jours par Suzanne Lévesque.

En 1994, elle obtient la bourse Nord-Sud et part en reportage dans la bande de Gaza. « Yasser Arafat rentrait d’exil, raconte-t-elle. C’était l’effervescence. On avait l’impression que la question palestinienne était sur la voie de se régler. On sentait beaucoup d’optimisme. »

À son retour, la télévision publique vit un grand bouleversement : on met sur pied dans une grande excitation RDI, première chaîne d’information en continu offerte aux francophones du Canada. Elle saute dans le train et devient présentatrice de nouvelles.

Pendant 20 ans, elle occupe le créneau du matin. Elle adopte un nouveau « mode de vie » qui l’oblige à se lever à 2 h du matin afin de plonger dans l’actualité fraîche du jour. « Il y a quelque chose d’extraordinaire dans cet horaire, car tu pars avec une feuille blanche. La dynamique du soir est complètement différente. »

Pendant toutes ces années, Claudine Bourbonnais a vécu mille et une situations.

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Claudine Bourbonnais

Je me souviens de l’atterrissage de la navette Columbia, en février 2003. Elle a éclaté alors que nous étions en pause publicitaire. Quand je suis revenue en ondes, j’ai dû tenir l’antenne alors que nous étions dans le vide. Mais en un temps record, on a réussi à avoir au téléphone un expert qui se trouvait sur place.

Claudine Bourbonnais

Au fil du temps, elle a acquis une grande assurance et a appris à composer avec les aléas du direct. « Étrangement, quand il arrive quelque chose de gros, plus on s’agite autour de moi, plus le ton monte sur le plateau et plus je deviens calme. »

Je lui demande s’il y a quelque chose qu’elle craint encore. « Pas vraiment, car je travaille avec une équipe solide et on a toujours un plan B. J’avoue que les fous rires sont la pire chose qui peut arriver, car il y a une perte de contrôle. »

L’un de ces moments de perte de contrôle met en vedette Marie-Claude Lavallée qui avait l’habitude de venir présenter à Claudine Bourbonnais les sujets de son émission RDI Santé. Quand elle a voulu nommer le microbiologiste Karl Weiss, c’est un superbe « calvince » qui est sorti de la bouche de Marie-Claude Lavallée. Le sérieux qui régnait sur le plateau a foutu le camp en une seconde.

Le poste de chef d’antenne

Claudine Bourbonnais a été nommée cheffe d’antenne du Téléjournal week-end à la suite de la tempête qui a marqué le départ de Pascale Nadeau en 2021. C’est la même équipe qui entoure la nouvelle cheffe. « Je travaille avec des gens tellement brillants, dit Claudine Bourbonnais. Il y a parmi eux des jeunes talentueux et assoiffés de connaissances. Je parle de ça et ça me touche beaucoup. » De fait, en évoquant ces collègues, ses yeux se sont remplis d’eau.

Après 32 ans à Radio-Canada, Claudine Bourbonnais espérait bien évidemment obtenir ce poste. « Je le voulais, mais je ne me suis pas créé d’attentes. Je suis une coureuse de fond, je suis patiente. Ça résume bien ma personnalité. »

Ne comptez pas sur elle pour mettre le feu au débat sur la place des femmes en information ou sur la difficulté de vieillir pour les femmes à la télévision (elle règle la question en disant que pour être heureux dans la vie, on doit accepter ça, qu’on soit homme ou femme).

En revanche, elle ne se gêne pas pour aborder le phénomène de la polarisation auquel nous assistons en ce moment.

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Claudine Bourbonnais

J’ai couvert le référendum de 1995, le printemps érable et l’actuelle pandémie, trois évènements extrêmement polarisants. Mais en ce moment, on voit les effets des réseaux sociaux. Ceux-ci créent une caisse de résonance. C’est accompagné d’une colère. Ça, ça m’inquiète.

Claudine Bourbonnais

Les gens de la rue, quand ils vont vers une chanteuse ou une comédienne, c’est souvent pour lui dire qu’elle leur fait du bien. Que dit-on à une cheffe d’antenne qui est porteuse de nouvelles pas souvent agréables ?

« Après ma nomination, deux femmes sont venues me voir alors que j’étais au restaurant. Elles m’ont dit qu’elles espéraient que ça soit moi qui obtienne le poste. C’est comme si elles avaient gagné leurs élections. Ça m’a tellement fait plaisir. On présente des nouvelles, mais on n’est pas toujours conscients qu’on entre dans la maison des gens. Et c’est le cas. »

Questionnaire sans filtre

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Claudine Bourbonnais

Le café et moi : « Je n’en prends qu’un seul et c’est le matin. C’est ce qui me fait sortir du lit. L’odeur du café m’appelle à la vie. »

Une personne qui m’inspire : « Sans hésitation, Joyce Carol Oates. J’ai découvert cette femme et j’ai reconnu en elle une sorte d’alter ego. Elle pose un regard très intéressant sur la société américaine. »

Mon pire défaut : « Ne pas savoir dire non. Mais j’apprends à le faire de plus en plus. Je crois que ça vient d’une peur de blesser ou de déplaire. »

Des gens, morts ou vivants, que j’aimerais réunir autour de ma table : « Je ferais un souper de filles avec Joyce Carol Oates, de même que la journaliste Christiane Amanpour, Louise Arbour et Simone Weil. Ah pis, tant qu’à y être, j’inviterais aussi Fabienne Larouche. »

Une époque que j’aurais aimé vivre : « J’aurais aimé avoir 20 ans au milieu des années 1960. On construisait tout. Cette période est fascinante. »

Qui est Claudine Bourbonnais ?

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Claudine Bourbonnais

  • Née à LaSalle (Montréal) le 9 octobre 1964
  • Études à l’Université McGill et à l’Université Durham (Angleterre) en sciences politiques
  • Début à Radio-Canada (Edmonton) en 1989
  • Début à RDI en 1995
  • Nommée cheffe d’antenne du Téléjournal week-end en février 2022