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Avant d’aller de l’avant avec de nouveaux barrages, le moment ne serait-il pas venu de discuter avec nos voisins terre-neuviens qui sont surendettés et qui ont beaucoup d’énergie ?

Pierre Laporte

Allez à Terre-Neuve et prononcez les mots « contrat de Churchill Falls » et vous provoquerez sans doute le même mélange de furie et d’amertume que si vous évoquez le but refusé d’Alain Côté des Nordiques en 1987 en pleine ville de Québec.

Voilà le genre de mauvais souvenir capable de galvaniser une population.

Ces mots, François Legault les a pourtant prononcés lors de son discours d’ouverture, mercredi dernier. Il a dit que la renégociation du contrat de Churchill Falls était un dossier « très, très, très important ».

Il a parfaitement raison. Le fait que le premier ministre a cela sur son radar au point de le mentionner dès la rentrée parlementaire est une excellente nouvelle.

En vertu de ce contrat signé en 1969, le Québec achète de l’hydroélectricité à Terre-Neuve au prix de 0,25 cent le kilowattheure. C’est plus qu’une aubaine : c’est la mégaliquidation des Fêtes à longueur d’année depuis plusieurs décennies. En comparaison, nous vendons nos kilowattheures à l’État de New York au prix de 13,32 cents US, soit environ… 72 fois plus.

Ce prix dérisoire découle du fait que c’est Hydro-Québec qui a assumé les risques de la construction de Churchill Falls. Mais les Terre-Neuviens ont ce contrat en travers de la gorge depuis longtemps. Ils se sont battus jusqu’en Cour suprême pour tenter de l’annuler. En vain.

La fameuse entente prend fin en 2041. Ça peut paraître loin. Mais compte tenu du temps qu’il faut pour développer de nouvelles infrastructures électriques (François Legault a parlé de 15 ans pour un nouveau barrage dans son discours), c’est demain matin.

L’enjeu est important. Les 5400 mégawatts qui nous parviennent de Terre-Neuve représentent environ 15 % de l’électricité que le Québec consomme et exporte.

Avec l’électrification des transports et des procédés industriels, on sait que le Québec fera bientôt face à d’importants besoins en électricité. M. Legault affirme qu’il faudra construire un « demi-Hydro-Québec » d’ici 2050 — une façon de dire que nos capacités doivent croître de moitié.

Dans ce contexte, perdre l’énergie de Churchill Falls serait vraiment contre-productif.

En principe, les négociations ne devraient pas être si complexes. Terre-Neuve a tout intérêt à vendre son électricité au Québec. Mais quand on négocie avec un interlocuteur frustré et humilié, la logique ne prévaut pas nécessairement.

Pour s’en convaincre, il suffit de voir comment Terre-Neuve s’est acharnée avec la construction de la centrale hydroélectrique de Muskrat Falls. Conçu expressément pour concurrencer Hydro-Québec sur les marchés d’exportation, le projet s’est transformé en un fiasco technique et financier tel qu’il a presque précipité la province en faillite.

Si les relations entre les deux provinces ne s’améliorent pas, Terre-Neuve pourrait bien choisir de bouder et d’utiliser l’hydroélectricité de Churchill Falls pour essayer d’attirer des industries chez elle ou pour fabriquer de l’hydrogène vert, même si ce n’est pas la solution la plus rentable pour elle.

Pour enterrer la hache de guerre, Québec devrait envoyer le signal qu’il est prêt non seulement à renégocier immédiatement la suite du contrat de Churchill Falls, comme l’affirme François Legault, mais carrément à le rouvrir et à payer un prix plus juste dès maintenant afin de sécuriser le prolongement du contrat après 2041. À long terme, cela pourrait s’avérer moins coûteux pour le Québec.

C’est d’autant plus vrai que de bonnes relations avec Terre-Neuve pourraient avoir d’autres bénéfices.

Newfoundland & Labrador Hydro nous confirme qu’il serait possible d’augmenter la capacité de la centrale de Churchill Falls de 1600 MW en ajoutant des unités supplémentaires et en mettant à niveau les unités actuelles.

Et il y a un autre projet au Labrador, Gull Island, dont Québec et Terre-Neuve discutent depuis de nombreuses années. L’expert Pierre-Olivier Pineau, à HEC Montréal, estime qu’il s’agit d’un meilleur projet hydroélectrique que tous ceux envisagés au Québec.

En somme, vous avez raison, Monsieur Laporte : un morceau important du casse-tête de notre approvisionnement énergétique se trouve à Terre-Neuve.

Avant de se lancer dans la construction de nouveaux barrages au Québec, François Legault aurait tout intérêt à donner un coup de fil à son homologue terre-neuvien Andrew Furey.