Avec leur plume unique et leur sensibilité propre, des artistes nous présentent leur vision du monde qui nous entoure. Cette semaine, nous donnons carte blanche à Mégan Brouillard.

Je suis polie avec les gens que j’haïs.

Je n’ai pas été bâtie pour me retrouver dans La Presse. J’ai « googlé » le verbe failli tout à l’heure. Pour vérifier mon orthographe, j’ai googlé : « verbe fahit conjugaison ». Moi, généralement, je suis plus du type message vocal.

Personnellement, je pense que le gars à La Presse qui m’a donné carte blanche devrait perdre sa job, mais ça, c’est une opinion très personnelle.

Me donner carte blanche dans La Presse, c’est comme exposer les dessins d’un enfant de 4 ans au Musée des beaux-arts. C’est fin, mais ç’a pas rapport.

D’où je viens, on n’écrit pas dans La Presse, mais quand on t’invite, tu y vas !

Chez nous, ce n’est pas tant qu’on manie la langue, plus qu’on joue avec les mots. Parfois pour se donner raison, parfois pour tirer la pipe, souvent les deux. J’ai été bâtie par du monde qui parle fort, qui rit fort et qui aime fort.

Je n’ai pas été élevée dans la ouate. J’ai été élevée dans la laine minérale, c’est plus chaud, mais ça pique plus. Ça pique chez nous. Ça pique, ça écorche, ça « roaste ».

Je suis bien contente d’avoir grandi dans la laine minérale parce que ça m’a fait une couche isolante. J’ai la couenne qui est capable d’en prendre. Je dirais même que j’ai la couenne qui veut en prendre. On achale ceux qu’on aime, moi, j’aime beaucoup et j’aime fort. On m’a appris à niaiser les autres, mais surtout à me niaiser moi.

La laine minérale, on l’appelle par chez nous la « laine insolente ». J’ai grandi dans l’insolence, mais de l’insolence le fun. Du monde charmant, mais arrogant, orgueilleux et niaiseux. Des gens qui ne se prennent pas au sérieux même quand ils se prennent au sérieux.

Ce qui fait que les gens que j’aime, je les pousse, je les pique, je les « challenge ».

Ce que je te dis en pleine face ne te résonnera pas dans l’dos. On rit de nos travers au lieu de nous les reprocher.

Je viens d’une contrée où on dit « va chier » quand on est extrêmement content d’une bonne nouvelle. On a la fierté vulgaire et le plaisir grivois. Qu’est-ce tu veux que j’te dise, c’est comme ça !

Quand ma cousine nous revient avec la promotion sur laquelle elle travaille d’arrache-pied depuis deux ans, ya le « ben, va chier » qui quitte nos lèvres, les yeux pleins de fierté.

Puis on dit « ah, ben bravo ! » à l’autre là, le beau-frère fatigant qui nous parle de sa Mercedes de l’année et qui ne veut pas salir ses souliers pendant la corvée de bois à l’automne.

On dit « woyons donc, vieille folle, es-tu rendue sénile » quand quelqu’un nous reçoit à souper comme des rois.

On dit « merci, c’est trop gentil » pour un repas au poulet aussi sec que les discussions à table.

On a le bonheur barbare. Tout ce qui est civil cache l’ennui. Tout ce qui est lisse manque de caractère.

Comme je le disais : je suis polie avec les gens que j’haïs.

Le jour où je te dirai que ton chapeau est beau, que ton manteau est chic, que ton pull te va bien, tu sauras qu’on n’est pas amis.

Le jour où je rirai de tes souliers, sache que tu feras partie de ma garde rapprochée.

Si j’te dis que ton manteau te donne l’air d’un beau trou de cul ben sapé, tu m’diras : « Merci, c’est un grand compliment. »

Dans une fondue, les aliments que je pique en premier sont mes préférés. Je ne pique jamais le brocoli. Je m’en sacre du brocoli. Les crevettes, par exemple, je leur donne une rince.

J’attaque mes proches, donc certains pensent que je mène la guerre à mes ennemis.

Mais moi, mes ennemis, je veux passer le moins de temps possible à penser à eux autres.

Mes amis, je vais faire des thèses sur leurs défauts. Des PowerPoint sur leur manque de goût. Je ne les laisserai pas tranquilles.

Les gens que je n’aime pas, eux, je ne les niaise pas. Je trouve dur de « roaster » quelqu’un que je n’aime pas, de peur de blesser, de peur d’être trop vraie.

Avec mes proches, je suis vraie, même que je n’ai pas peur d’exagérer la réalité pour être plus « punchée ». J’en demande autant d’eux autres et je suis toujours servie.

Pour moi, le pire des hommages, c’est de lancer des fleurs fades et sans épines de peur d’égratigner celui qui les reçoit. Je veux recevoir la rose au complet.

Mon pire cauchemar : finir mes jours sans personne pour me tirer la pipe.

Il y a des gens qui veulent qu’on se souvienne d’eux après leur mort, que leur mort soit pleurée, que leur mémoire traverse le temps.

Moi, je veux qu’à ma mort, tout ce qu’il reste, ce soit des amis et de la famille qui trouvent encore le mot pour me niaiser même dans le cercueil.

En vieillissant, je suis de plus en plus reconnaissante de venir d’où je viens. D’une place qui dégonfle les têtes, qui garde les deux pieds sur la terre, qui peut manquer de politesse, mais qui ne manquera jamais un moment important pour toi. Du monde qui va t’appeler « l’artiste » pour te niaiser au party de Noël, mais qui sera en première rangée pour t’applaudir le soir de ton premier spectacle solo ou de ton premier gala.

Parce que nous autres on est de même, on est polis avec les gens qu’on haït et on est là pour le monde qu’on aime.

Tout ça pour dire, La Presse, vous êtes des esti de malades, c’était écœurant de faire ça avec vous !