L’exercice est pratiquement impossible à faire et pourtant, les photographes de La Presse s’y sont prêtés : parmi les (dizaines de) milliers d’images qu’ils ont prises depuis le début de leur carrière, quelles sont les dix plus marquantes ? Un choix déchirant et très personnel. Voici la sélection d’Alain Roberge.

PHOTO ALAIN ROBERGE, LA PRESSE

Mars 2006 – Ukraine
Tout jeune, je faisais le cauchemar récurrent d’une attaque nucléaire soviétique. En avril 1986, à la suite de l’explosion du réacteur nucléaire de Tchernobyl, cette peur du nucléaire s’est amplifiée. Puis, les années ont passé et j’avais presque oublié cet évènement quand j’ai vu un documentaire sur Pripiat, la ville fantôme voisine de la centrale, quelques mois avant le 20e anniversaire de la catastrophe. Je me suis rendu sur place pour un reportage qui m’a permis de me réconcilier avec mes peurs de jeunesse. Ici, l’une des nombreuses garderies laissées à l’abandon quelques jours après l’explosion de 1986.

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Août 2008 – Alberta
Tout ce qui touche l’environnement m’interpelle. Quand mon employeur m’a proposé de documenter l’exploitation des sables bitumineux en Alberta, j’ai accepté immédiatement. Je m’attendais à un reportage facile, mais j’ai vite réalisé que les gens impliqués dans cette industrie protégeaient bien leur investissement. Impossible de s’approcher des installations de rejet et autres bassins pollués. Même les pilotes refusaient de les survoler. Après des jours, j’ai toutefois trouvé un jeune aviateur sensible à la cause environnementale qui m’a permis d’illustrer l’ampleur du saccage.

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Décembre 2011 – Québec
Cette année-là, la section des sports de La Presse m’a demandé de faire une série de portraits originaux de la relève. Je devais trouver des lieux et des concepts en lien avec les intérêts personnels des sportifs choisis. Je me souviens très bien de cette séance : nous étions à Québec pour immortaliser le cycliste David Boily. Les administrateurs du Capitole de Québec nous ont accueillis dans une magnifique salle. Résultat : un portrait drôle dans une ambiance chaude et capitonnée.

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Avril 2012 — Montréal
Les manifestants ont pris la rue jour après jour au printemps 2012. Le 20 avril, à l’occasion de l’inauguration du Salon Plan Nord au Palais des congrès, le premier ministre Jean Charest a mis le feu aux poudres en lançant cette pointe aux manifestants : « À ceux qui frappaient à notre porte ce matin, on pourra leur offrir un emploi. Dans le Nord, autant que possible… » Quelques minutes plus tard, la pioche sur cette photo s’est mise à frapper à grands coups dans le bitume montréalais pour fournir les protestataires en projectiles.

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Décembre 2012 – Montréal
À la fin de 2011, j’avais été mandaté pour couvrir la visite annuelle des joueurs du Canadien de Montréal aux enfants malades de l’hôpital Sainte-Justine. J’avais photographié une petite princesse recevant un baise-main du défenseur Hal Gill. Cette photo avait touché beaucoup de lecteurs. Un an plus tard, je suis retourné visiter la famille Bleau-Côté afin de prendre des nouvelles de Gabrielle. C’est une fière princesse avec beaucoup plus d’énergie qui nous a reçu cette journée-là. Finie, la maladie, que du bonheur !

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Juillet 2013 – Lac-Mégantic
Dans la nuit du 6 juillet 2013, un train fou et son pétrole ont semé le chaos et la mort dans le centre-ville de Lac-Mégantic, en Estrie. Quelques jours plus tard, j’ai été dépêché sur place pour documenter le désastre. Les autorités avaient fait installer une clôture de protection visuelle d’une dizaine de pieds de haut qui bloquait la vue sur les décombres de la zone la plus touchée. En circulant dans le quartier, j’ai pu monter sur le balcon d’un duplex, ce qui m’a permis de capter cette scène de désolation.

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Mars 2017 – Montréal
En 2012, mon amie Annick, qui travaille à la maison Le Phare Enfants et Familles, m’a proposé de faire un reportage sur les soins palliatifs pédiatriques. Pour un père de trois enfants, dont un naissant, c’était un sujet trop intense. J’ai donc refusé. En 2017, j’ai relancé l’idée. Je me suis plongé corps et âme dans ce projet et j’ai été extrêmement touché par la résilience des enfants. J’ai aussi découvert un monde de spécialistes, bénévoles et parents qui font tout pour leur bonheur, jusqu’à la fin. Depuis, le mot palliatif a pris un sens très différent à mes yeux.

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Avril 2019 — Montréal
Ce printemps-là, on m’a demandé de photographier le parcours d’Octavie Lambert, qui était en attente d’une double greffe des poumons et du foie. Chaque rencontre était chargée d’émotions et d’espoir. Au fil des mois, toutefois, sa santé déclinait. Le 25 octobre 2019, elle est entrée aux soins intensifs. Malgré tout, elle demeurait optimiste. Mais le 7 novembre, il a fallu se rendre d’urgence au Centre hospitalier de l’Université de Montréal afin de rencontrer la famille d’Octavie… pour assister à ses derniers moments de vie. Ce fut éprouvant. Comme elle, j’avais gardé l’espoir d’un dénouement heureux. Octavie s’est éteinte le 9 novembre 2019.

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Juillet 2022 – Montréal
Pendant l’été 2022, de nombreux confrères et moi avons été appelés à documenter le récit numérique « L’épidémie invisible » de Philippe Mercure, sur le fléau des surdoses au Québec. J’ai pu suivre le quotidien des spécialistes de la clinique de la Dre Marie-Ève Goyer et faire connaissance avec des jeunes, et des moins jeunes, aux prises avec des dépendances à de puissantes drogues. J’ai surtout rencontré des humains sensibles, au grand cœur, comme vous et moi, qui ont malheureusement, un jour, croisé des opioïdes sur leur chemin.