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J’aimerais bien savoir pourquoi le Canada paie ses médicaments brevetés plus cher qu’ailleurs. Dans la téléphonie mobile et l’internet, par exemple, on connaît la raison des prix élevés, mais pas pour les médicaments.

Pierre Dauphinais

Les Canadiens paient leurs médicaments brevetés plus cher que tous les habitants de la planète, à l’exception des Américains et des Suisses.

Pourquoi ?

Les raisons sont multiples. L’une d’elles est que contrairement à plusieurs pays (c’est notamment le cas en Europe et en Nouvelle-Zélande), le gouvernement canadien n’est pas le payeur unique des médicaments consommés au Canada. Selon Joel Lexchin, médecin et professeur à l’Université de Toronto, le régime public paie environ 44 % du coût des médicaments au pays. Le reste est assumé par les assureurs privés et les patients eux-mêmes.

Cela fait en sorte que le gouvernement canadien a un rapport de force plus faible que d’autres pays lorsqu’il négocie le prix des médicaments.

Le Canada s’est tout de même doté d’un mécanisme pour fixer un plafond au prix des médicaments brevetés. Ce plafond est déterminé par le Conseil d’examen du prix des médicaments brevetés (CEPMB), un organisme fédéral.

Le prix plafond est établi en fonction de comparaisons avec d’autres pays. Le hic, c’est que jusqu’à tout récemment, seulement sept pays étaient utilisés pour les comparaisons, dont les deux plus gros payeurs : la Suisse et les États-Unis. Au sud de la frontière, les prix des médicaments brevetés sont carrément trois fois plus élevés qu’au Canada, notamment parce qu’ils sont très peu réglementés.

Le gouvernement canadien est conscient du problème et a entamé une réforme pour faire baisser le prix des médicaments. Cette réforme prévoit notamment d’élargir la base de pays de comparaison utilisés pour fixer le prix plafond et d’exclure la Suisse et les États-Unis de la liste.

Ancien panier de pays : France, Allemagne, Italie, Suisse, Suède, Royaume-Uni, États-Unis.

Nouveau panier de pays : Australie, Belgique, France, Allemagne, Italie, Japon, Pays-Bas, Norvège, Espagne, Suède, Royaume-Uni.

Comme nous l’écrivions récemment, cette réforme s’est toutefois transformée en véritable feuilleton⁠1. Contestée par l’industrie, elle a été reportée à maintes reprises par le gouvernement Trudeau.

Même si elle a fini par être adoptée en juillet dernier, les lignes directrices nécessaires pour la mettre en œuvre ont semé la bisbille, entraîné des démissions en chaîne au sein du CEPMB et encore retardé les choses.

Il existe finalement tout un jeu politique qui se joue entre les gouvernements et les entreprises pharmaceutiques concernant le prix des médicaments, leur accès et les investissements en recherche et développement.

Le Canada veut encourager les entreprises pharmaceutiques à investir chez lui et craint que s’il est trop agressif dans son contrôle des prix, cela décourage les compagnies.

Joel Lexchin, médecin et professeur à l’Université de Toronto

« Les pays européens peuvent mieux contrôler les prix que le Canada parce que les entreprises sont historiquement établies en Europe, alors que le Canada cherche à les attirer », ajoute le DLexchin.

Ce n’est pas pour rien que, à l’origine, le CEPMB fixait son prix plafond à partir de pays où les prix étaient élevés. Ces pays n’avaient pas été choisis en fonction du prix des médicaments, mais bien des investissements en recherche et développement faits par les entreprises pharmaceutiques.

Finalement, ces entreprises n’hésitent pas à dire qu’elles ne commercialiseront pas certains médicaments au Canada si les prix y sont trop bas. Cet argument – on pourrait aussi parler de chantage – fait peur aux patients, place le gouvernement dans une situation délicate et contribue aussi aux prix élevés.

1. Lisez l’éditorial « Docteur, sortez les grands remèdes ! »