Chaque semaine, un de nos journalistes vous présente un essai récemment publié.

« L’horreur s’est infiltrée jusque dans nos vaisseaux sanguins, nos veines, nos nerfs, nos os, nos muscles. L’horreur s’est installée dans le corps et l’esprit des Ukrainiens. Tout ce qui est russe ne suscite dorénavant plus que de la haine. »

L’horreur décrite ainsi par l’écrivain Andreï Kourkov dans son essai Journal d’une invasion, c’est bien sûr l’agression russe à laquelle Vladimir Poutine a donné le feu vert en février 2022.

Célèbre pour son roman Le pingouin, ce romancier ukrainien d’expression russe a décidé, quelques mois avant le début du conflit, de « transcrire la lutte pour la liberté et la reconstruction de l’Ukraine ».

Son témoignage est précieux.

Soyez prévenus : il ne s’agit pas du livre d’un correspondant de guerre. Ni de celui d’un soldat au front. C’est le journal de bord d’un écrivain qui a fui les combats, a évacué sa famille de Kyiv dès le début de la guerre jusque dans l’ouest de son pays, à 800 kilomètres de la capitale.

Il nous offre sa vision du conflit et de son évolution, mais raconte aussi – et surtout – à quoi ressemble son quotidien et celui du peuple ukrainien. Semaine après semaine, il nous présente ses constats, ses angoisses et ses espoirs.

C’est un témoignage brut, écrit dans l’urgence, alors forcément on y trouvera parfois quelques répétitions et des constats qui ne correspondent plus à la situation actuelle sur le terrain. C’est parfaitement normal.

En revanche, les réflexions criantes de vérité sur la cruauté de la guerre et les souffrances de ceux qui y sont confrontés sont intemporelles.

On y côtoie l’horreur, donc, car elle est omniprésente en Ukraine. Et pas seulement dans les tranchées.

L’écrivain raconte par exemple comment, lorsqu’il pense à son pain préféré, celui du village de Makariv, il a désormais un goût de sang dans la bouche. La boulangerie a été bombardée par l’armée russe. Treize employés ont été tués et neuf blessés.

Il nous parle aussi des témoignages de trop nombreuses jeunes femmes ukrainiennes qui ont perdu leurs maris au combat. « Je connais certaines d’entre elles, j’ai rencontré leurs maris. Je ne peux pas lire sans verser de larmes ces cris de désespoir jetés dans le puits sans fond de l’internet. »

On n’y échappe pas. La guerre, c’est la mort. Mais c’est aussi un tyran qui prend en otage et torture chaque jour tous ceux qui la subissent.

Andreï Kourkov en fait une démonstration éloquente du début à la fin de son ouvrage. « C’est elle qui détermine votre façon de vivre, de penser, de prendre des décisions », écrit-il.

L’essai n’est pas pour autant saturé de désespoir. L’Ukraine n’est pas qu’enfer et ténèbres.

Le conflit en cours, aussi tragique puisse-t-il être, est aussi une histoire de solidarité. Celle des alliés du pays à l’égard de ses habitants. Et celle des Ukrainiens entre eux. De nombreux récits et anecdotes l’illustrent.

Le conflit est également, c’est très clair, une histoire de résilience. Ça, Andreï Kourkov le démontre aussi. « L’Ukraine va survivre, se reconstruire et aller de l’avant, tout en gardant cette guerre en mémoire pour des siècles et des siècles. »

Extrait

« En réalité, il ne pourra plus y avoir de vie normale pour ma génération. La guerre laisse toujours dans le cœur une blessure profonde. Elle fait à jamais partie de la vie, même quand les armes se sont tues. J’ai le sentiment qu’elle est dorénavant en moi. C’est comme de savoir que l’on vit avec une tumeur qui ne peut pas être retirée. On ne peut jamais vraiment fuir la guerre : elle se transforme en maladie chronique, incurable. Elle peut vous tuer, ou simplement rester logée dans votre corps et dans votre tête, en vous rappelant régulièrement sa présence, comme une lésion de la colonne vertébrale. »

Qui est Andreï Kourkov ?

Andreï Kourkov est un écrivain ukrainien russophone né en 1961, qui vivait à Kyiv jusqu’à ce que la guerre soit déclarée. Son premier roman, Le pingouin, publiée dans les années 1990, est aussi son plus renommé. Son œuvre est aujourd’hui traduite en plus de 30 langues.

Journal d’une invasion

Journal d’une invasion

Les éditions Noir sur Blanc

255 pages